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Combiers, nos libertés s’envolent!
Les promeneurs qui se rendent aux Begnines ou sur le pâturage des Pralets connaissent les grands panneaux qui bordent les routes et leur indiquent qu’ils se trouvent, carte à l’appui, à l’entrée du «District Franc Fédéral» et pénètrent dans une réserve de chasse. Ce District Franc, en simplifiant à l’extrême, a une forme de triangle dont les sommets sont les Grands Plats du Vent, le Noirmont, et les ruines d’Oujon au-dessus d’Arzier. D’une surface de 37 km2, il a été instauré en 1971.
Or, ces panneaux ont été remplacés ces dernières semaines par des modèles plus petits. Vous n’entrez plus, et c’est l’objet de mon article, dans un District Franc mais dans un «Site Fédéral de la protection de la faune». Par la même occasion, vous apprenez, toujours grâce à ces écriteaux, que la pratique du ski et de la raquette y est totalement interdite.
Incrédulité!
Moi qui croyais que les pâturages étaient libres d’accès!
La neige venue, voulez-vous aller au Mont Sâla?
Laissez votre véhicule au Pré de Bière, prenez la piste Marchairuz-Givrine et, depuis la Bassine, suivez les indications du tourisme pédestre. Autre possibilité, allez en voiture à Bois d’Amont, puis montez par les Loges et la Baragne mais n’oubliez pas alors votre carte d’identité! En effet, inutile de vouloir emprunter le trajet le plus court: à la croisée des chemins du Cerney et des Grands Plats, un écriteau vous interdit tout passage.
On veut persuader ainsi la population – particulièrement celle des villes plus encline à croire ces dires – que le promeneur hivernal est un terrible prédateur, responsable des nombreuses dépouilles découvertes au premier printemps; cadavres de pauvres animaux stressés à mort par le bruit des piolets!
Amoureux un peu fou de ce coin de pays, je le parcours depuis plus de 60 ans, souvent hors des sentiers battus, au gré de mon humeur du jour. Je peux donc me prévaloir d’une certaine connaissance de l’endroit et me permettre de m’élever résolument contre de telles allégations. Le gibier n’a-t-il pas été plus stressé par la réintroduction du lynx? Il est vrai que c’est une bête superbe et fascinante mais on a aujourd’hui beaucoup de peine à gérer sa présence, et avec l’arrivée du loup dont on ne veut pas réaliser le danger, nous voici avec deux prédateurs certainement plus efficaces que le promeneur lambda. Quant à la présence des skieurs, oublie-t-on que le gibier s’habitue à l’homme? A preuve, les chamois qui se laissent photographier au bord des routes cantonales, les lynx qui narguent le cantonnier ou les coqs qui ne se gênent pas pour attaquer le marcheur.
La gente animale sait très bien se cacher en période hivernale. Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir dérangé ou fait fuir du gibier: s’il m’est arrivé de croiser un chevreuil, celui-ci m’a regardé passer d’un air placide. Jamais je n’ai levé le Grand Tétras, cet oiseau fabuleux, qui ne se doute certainement pas de la place centrale qu’il occupe depuis des décennies dans un nombre incalculable de théories écologistes. Enfin, si les amateurs de ski et raquettes, d’ailleurs pas si nombreux, dérangent à ce point, que dire à ce moment-là de la «Police de la Faune» qui multiplie les passages pour installer, contrôler et changer moultes caméras dont on ne voit pas trop l’utilité? Que dire à ce moment-là de la capture du gibier pour y mettre puce, bouton ou collier – voire même une antenne sur un pauvre gallinacé?
Que dire à ce moment-là de la surveillance accompagnée des zones de parade du Grand Tétras à un moment crucial de son cycle?
A trop vouloir protéger et défendre la nature, n’en arrive-t-on pas à des excès ridicules? On pense immédiatement au lobby écologiste, Pro Natura en tête, qui, s’il ne représente pas une majorité de la population, a su, en quelques années, s’introduire dans tous les départements tant cantonaux que fédéraux. En avançant lentement mais sûrement ses pions, il est devenu un Etat dans l’Etat, avec ses exigences et les coûts qui en découlent; laissant une administration pourtant toujours plus pointilleuse presque sans voix, sans réaction et surtout sans bon sens.
Qui sont les personnages à la tête de ce lobby, cachés derrière les termes d’Office, de Service ou de Fondation? Il serait intéressant de les rencontrer en chair et en os, et de comprendre leur motivation. Persuadés d’être les rois de la forêt mais confortablement assis dans la chaleur de leur bureau, connaissent-ils si bien notre coin de pays pour décider d’en interdire l’accès?
Comment se fait-il que l’on pose ces panneaux sans aucune information préalable, sans avoir consulté la population, mais bel et bien en catimini, preuve peut-être qu’on ne fait pas tout à fait juste? Les communes concernées ont-elles connaissance de cette décision? Informées, n’osent-elles rien dire à leurs citoyens ou tombent-elles elles aussi des nues?
Mon coup de gueule aura-t-il un certain écho? Je l’espère mais le doute s’installe en sachant que l’administration fédérale saura sans doute nous dire que ces dispositions, instaurées en 1971, ont depuis été amendées ou modifiées et sont devenues exécutoires.
En conclusion, on en arrive à la création d’un petit Parc National dans l’ouest de la Suisse, pour l’instant uniquement hivernal. N’est-ce pas le prélude à une interdiction de parcourir d’immenses secteurs en période estivale? A quand des banderoles pour nous obliger à suivre scrupuleusement (aveuglément devrait-on dire!) des chemins prédéfinis? Il m’attriste de penser que, dans un proche avenir, un promeneur respectueux, désirant simplement profiter de notre magnifique région pourra être traité comme un hors-la-loi et traîné en justice pour avoir détourné les yeux d’un panneau.
Gilbert Goy