Il a franchi le pas: en décidant de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, le président Trump visait deux objectifs. Tout d’abord sur le plan intérieur en mettant en œuvre une promesse à l’intention de son électorat fondamentaliste religieux (les juifs américains étant divisés sur la question); en matière de politique extérieure ensuite par une volonté de «renverser la table» afin de faire émerger une solution au conflit par la création de deux états, Israël d’un côté et la Palestine de l’autre.
Or Jérusalem n’est pas une ville de l’Arkansas. Son caractère hautement symbolique glorifié par les trois religions du Livre lui confère un caractère unique au monde. Coupée en deux en 1949, elle fut totalement conquise par les Israéliens lors de la guerre de juin 1967. Israël en fit sa capitale en y transférant son gouvernement et son parlement, en étendant ensuite les limites de la Municipalité aux quartiers arabes situés à l’est. Jérusalem était devenue «Une et indivisible». Les objectifs religieux et politiques étaient atteints.
Une issue au conflit est-elle encore possible? La création d’un seul état réunissant Israéliens et Palestiniens est totalement hors de propos. Reste la solution à deux états avec pour base de négociation l’initiative dite de Genève (reconnaissance des réfugiés palestiniens mais sans droit au retour en Palestine, Jérusalem avec deux capitales, échanges de territoires afin de prendre en compte une partie des colonies israéliennes sur le territoire palestinien, libre accès aux lieux saints). Ce plan est tout aussi irréalisable parce que Israël, en position de force, n’en veut pas. La composition de son gouvernement est marqué par le poids électoral des colons et des religieux orthodoxes. Yitzhak Shamir, ancien premier ministre, n’avait-il pas déclaré en aparté lors de la Conférence de Madrid «nous ferons traîner les négociations de paix pour qu’aucune solution n’émerge»? Quelques extrémistes émettent l’idée de chasser la population palestinienne (4.9 mios d’habitants) vers les pays arabes; s’ils ne sont que très minoritaires dans l’opinion israélienne, cela donne tout de même un parfum d’épuration ethnique. La colonisation se poursuit en dépit de la résolution 242 des Nations unies et Israël ne respecte pas les principes de la IVe Convention de Genève. Quant à l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, perçue comme corrompue et inapte par la majorité des citoyens, elle rivalise avec le Hamas qui s’abstient désormais de tout discours antisémite mais qui ne reconnaît pas le droit à l’existence de l’état hébreu. Les gouvernements arabes ne peuvent peser, l’Arabie saoudite dépendant de ses liens privilégiés avec Washington et l’Egypte étant sous perfusion américaine. L’Europe qui pourrait exercer une réelle influence en remplaçant de facto les Américains discrédités au Moyen-Orient n’a pas de politique extérieure commune.
Une troisième intifada (révolte populaire) ne s’est pas produite. Il y a eu des manifestations vite réprimées et un seul tir de missile a été tiré par le Hamas depuis Gaza sans faire de victimes. Les Palestiniens sont las, cassés par une occupation militaire implacable.
La décision Trump ne renforcera pas le camp des modérés. C’est le triomphe de l’arrogance politique et l’ignorance d’un dossier complexe. A tel point qu’il a désigné son gendre âgé de 33 ans (parfait pour les mondanités et sur les terrains de golf) pour renouer le dialogue. Espérons que ses conseillers prendront soin de lui dire qu’Israël et la Palestine ne sont pas situés au sud du Japon et que Naplouse n’est pas une pâtisserie orientale.
La décision américaine ouvre d’autres perspectives à plus longue échéance: La Turquie veut se positionner comme leader des opprimés du monde arabe, rivalisant ainsi avec l’Iran. En embuscade se profile la Russie à qui le régime de Bachar Al Assad doit sa survie et qui souhaiterait renouer avec l’Egypte. Poutine comme ses prédécesseurs, tsars compris, a des visées sur le Moyen-Orient. Ce n’est pas un sanguin contrairement à Trump, c’est un animal politique à sang froid. Il avance ses pions pendant que Trump rédige des messages sur Twitter. C’est toute la différence.
Jean-Yves Grognuz,
14.12.2017