Dans la magie de la Coupe du monde, il y a une autre magie qui revient depuis le début des années 60, une magie dans la magie, tout comme les poupées russes: les vignettes Panini. L’occasion de donner la parole à quelques-unes des têtes blondes de La Vallée et de voir comment s’en sortent ces collectionneurs en herbe.
Qu’on ne s’y trompe pas, la Suisse représente un marché d’importance pour le groupe Panini. L’un des plus importants marchés du monde, même, car les Suisses détiennent le record d’achat par personne. Inutile de chercher longtemps pourquoi. Un album coûte une blinde, rengaine des parents qui, avec l’expérience, savent qu’on ne peut pas toujours dire «non». «Maman, encore un paquet! Juste un… S’il te plaît», comme les vagues sur la grève, cela ne s’arrête jamais. Jusqu’à ce qu’on cède. A raison d’1,10 franc par paquet de cinq vignettes, il faut remplir 682 images, mais une simple division ne suffit pas; le facteur chance joue un grand rôle. Mon vieil enseignant de Chez-le-Maître, toujours en poste, me corrigerait sans doute: en mathématiques, on parle de «probabilités.»
Pourquoi cela ne se démode jamais
Un album Panini coûte une petite fortune et pourtant, le produit ne se démode pas. Quittons l’aspect financier qui décidément colle au foot, pour s’interroger sur ce succès, d’autant frappant que les mêmes qui collectionnent les vignettes possèdent tous un smartphone (autre casse-tête parental). Eh bien non, il reste une jeunesse attachée aux vraies valeurs, aux traditions. Pourquoi? Facile: un album Panini, c’est une quête. L’aspect matériel et tactile, pour commencer. Une vignette, c’est un objet précieux. Ensuite, l’ouverture de chaque paquet est une petite aventure. Les battements cardiaques s’accélèrent. Trouvera-t-on ces fichues frimousses qui nous manquent? Espoir récompensé ou non. Il faut persévérer. Et comme en sport, impossible d’y arriver seul. C’est un travail d’équipe, une course de relais longue comme un marathon. Oui, terminer un album Panini, ça coûte, mais c’est peut-être aussi cela qui plaît aux jeunes et moins jeunes. La persévérance récompensée. En même temps, un album fini perd beaucoup de son intérêt.
Les grands-mamies et les profs
La Migros offrait ce printemps des mini-paquets de deux vignettes dans le cadre d’une action promotionnelle. Aujourd’hui, c’est même un acte d’achat qui égale deux mini-paquets. «Nous en donnons plus que nous en vendons», détaille la gérante Claire Safta. «Car la Migros n’est pas connue pour ce produit; les acheteurs vont plutôt en kiosque». «Mais ce qui est sympa et typiquement Combier, c’est de voir les grands-mamies prendre quand même les paquets gratuits pour leurs petits-enfants. Certaines mêmes les tendent à un gamin dans la fille derrière elles.»
Aux écoles de La Vallée, les enseignants voient eux aussi revenir la fièvre saisonnière des vignettes. Un enseignant raconte qu’il a dû recadrer une élève surprise plus d’une fois à courber la récré. Que faisait-elle comme crasse? Elle échangeait des vignettes Panini sous son pupitre pour aider son camarade à finir son album. Il semble que ce soit une spécificité féminine: Enora Guerin, élève de 9e, nous montre un album vide ou presque. «C’est parce que j’envoie tout à mon cousin de
23 ans(!)», explique l’écolière. Un grand cœur pour les autres, mais quand même: «Je l’ai contacté hier, j’attends avec impatience qu’il me renvoie tous les doubles, que je puisse remplir mes cases». Sa page de la France, dont elle soutient l’équipe parce papa a le passeport hexagonal, ne compte que deux joueurs.
Autre anecdote de prof. En course d’école, une élève vient montrer à la maîtresse la banane écrasée au fond de son sac. En ouvrant le sac, qu’est-ce que l’enseignante trouve entre le sandwich, la bouteille d’eau et la banane écrasée? Une pile de vignettes. Même pendant les sorties, il faut avoir ses cartes sur soi, au cas où. Le deal, chacun le sait, ne s’arrête jamais.
Sacré modèle commercial
Nous poursuivons notre périple aux Charbonnières, où le fils cadet du président du club de football de La Vallée nous montre une impressionnante collection. Au début, Ewan Muirhead échangeait les vignettes à l’école avec les copains mais il a trouvé mieux: un collègue de travail de son grand-frère, majeur, qui a une grande quantité de vignettes à double. Il lui semble du reste qu’il y a moins d’échanges cette année dans le préau qu’en 2014, pour la dernière Coupe du monde. L’écolier pratique lui-même le foot, bien évidemment, mais une déchirure des ligaments croisés (la blessure des «grands») le tient éloigné des terrains pour un bout de temps. Il se venge sur son album. Et soutient l’Angleterre.
«J’espère y arriver», glisse Ewan. Derrière lui, sa maman rassure: «S’il n’en reste qu’une vingtaine pour finir, on ira en ligne». Apparemment un peu embarrassée du côté très consumériste de cette mode qui revient comme Noël, mais une année sur deux seulement, elle ajoute: «Je laisse mon fils faire ses vignettes Panini parce qu’il y a une valeur pédagogique tout de même. Apprendre les drapeaux nationaux et comprendre les ressorts du commerce, aussi: une vignette rare que tout le monde s’arrache montera dans les prix», explique cette comptable de métier. «Maman, de toutes façons, les drapeaux nationaux, je les connais, j’ai pas besoin des vignettes Panini pour ça!», rétorque l’ado. Ambiance.
L’idée de Madame Muirhead est tout sauf bête: on apprend toutes sortes de choses en étudiant la maison italienne Panini, de redoutables commerçants! A témoin la pratique consistant à tirer, lors de chaque édition, un certain nombre de vignettes en nombre réduit (les fameux «introuvables»), forçant ainsi les consommateurs ignorants du piège à acheter et acheter encore. Le foot est aussi affaire d’un peu de malice!


