Ce dernier mercredi, on présentait le film de Dominique Marchais, Nul homme n’est une île. Le documentaire met en lumière quelques figures admirables, engagées dans des structures d’économie participative et locale. Rien d’utopique puisqu’il s’agit de réalisations concrètes et initiées il y a de nombreuses années déjà.
En Sicile, au Voralberg, dans les Grisons… et ailleurs, des personnes créent des coopératives fondées sur le respect de la nature, la synergie des compétences et des formes de gouvernance bien éloignée des hiérarchies verticales traditionnelles. On insiste sur l’implication de tous dans les processus de décision et de production. On se persuade de la capacité créative des gens, pour peu qu’on les sollicite et leur fasse confiance.
L’œuvre donne évidemment à réfléchir et pour se désaltérer un peu, les neurones hésitent entre le verre à moitié plein et son jumeau à moitié vide.
Optimiste, on se réjouit d’une prise de conscience qui pourrait se généraliser. Un mouvement se dessine. On s’éloignera un jour de la fascination qu’exerce la mondialisation, la surconsommation, l’exploitation forcenée des ressources énergétiques et les hochets froids de la technique. On se calmera dans les revendications d’un droit à la mobilité, cette hystérie de bougeotte universelle. Optimiste encore, on admire ces réalisations et on n’est pas très fier de limiter son propre engagement à quelques paniers bio et un peu d’esprit critique dans la corvée des achats. Bref, on se dit que tout n’est pas perdu, que l’avenir est encore à inventer… et que les inventeurs sont parmi nous.
Reste que, d’une humeur plus maussade, on pourrait craindre que de telles expériences ne fussent que les chants du cygne d’une humanité à l’agonie.
Un indice en faveur de cette humeur noire: mercredi, dans la salle de cinéma ne se présentent que des personnes d’âge disons mûr. Quatre ou cinq trentenaires ainsi qu’une enfant sauvent l’honneur de la jeunesse. Plus inquiétant encore, les personnes mises en lumière par le documentaire ont elles aussi un certain âge. La génération dite montante en est singulièrement absente.
Où sont donc les jeunes dans cette affaire qui les concerne au premier chef?
Eh bien, ils fréquentent l’école où on leur apprend à devenir efficaces, à savoir rapides et compétitifs. Les critères de réussite? Des normes abstraites, mitonnées pas les maîtres-queux de la Pisa-connection. En Suisse, Harmos veille à ce que tous les enfants fassent la même chose à la même heure… sans trop se demander si ce qu’il font -ensemble et dans un esprit de béate égalité- a vraiment du sens. Pour doper leur productivité, on suggère de les numériser en les gavant de portables et de tablettes… les ordonnances étant signées par la Ministre. L’imagination créatrice? Point trop n’en faut, tant on trime à décrocher des diplômes coulés dans des moules obsolètes. Dire d’un élève qu’il est un original est un reproche. Un enfant spécial est lestement confié à la médecine, la pédagogie ne pouvant plus rien pour lui.
Or, le documentaire de Demierre fascine en mettant en lumière des personnalités fortes, autonomes, capables d’écart, préférant la co-opération à la compétition, marginales quant aux normes convenues, s’égayant aux joies simples et à une harmonie qui n’a rien à voir avec l’alignement servile où l’on marche au pas de la loi, comme disait Philippe Muray.
Si l’on voulait boire au verre à moitié plein, il faudrait d’abord réformer l’école: préférer l’unique et le différent à une égalité idéologique et bureaucratique, exalter le possible dans chaque élève en lui faisant confiance, promouvoir une pédagogie du sens plutôt que de concocter ces programmes que Valéry dénonçait dans les années 1930 déjà, des programmes conçus, disaitil, en fonction de la facilité à les évaluer.
C’est à ce prix que les témoins de Dominique Marchais auront raison.
Jean-Daniel Nordmann,
L’Abbaye