Camps de réfugiés – Plaine de la Bekaa
C’est en allant à Baalbek que je m’arrête dans l’un des multiples camps de réfugiés syriens qui ont poussé comme des champignons depuis 2013 dans la plaine de la Bekaa.
Ce camp abrite 64 familles, chacune disposant d’une tente, ce qui correspond grosso modo à 400 personnes. Craignant une installation à long terme des réfugiés, le gouvernement libanais a prohibé la construction d’abris en parpaings, même sommaires. Les intérieurs (une seule pièce pour environ 6 à 8 personnes) sont propres et les sols sont recouverts de tapis. La vie se déroule essentiellement dehors et des matelas sont disposés pour la nuit.
Comme l’an dernier, je suis frappé par le nombre d’enfants en bas âge nés sur le territoire libanais. Ils n’ont pas la TV me glisse goguenard mon chauffeur. Une fillette à l’esprit vif est désappointée de savoir que je ne suis pas sur Facebook!
Retour des réfugiés, mais avec quelles garanties?
Le HCR, agence des Nations Unies pour les réfugiés ainsi que des organisations non gouvernementales (la Confédération est partenaire via la Croix Rouge libanaise) fournissent l’aide de base. Pour le surplus, les hommes tentent de trouver un travail à la journée et les femmes s’occupent dans le secteur agricole à la bonne saison. L’une revient des champs: elle a gagné Fr. 2,- pour une heure et demie ce qui n’est pas grand’chose au regard du coût de la vie mais elle a pu rapporter quelques aubergines. Les emplacements sont loués par les propriétaires fonciers et j’estime à environ Fr. 2000,- le produit mensuel des locations.
Cette communauté vient de la région de Raqqa, ville du nord de la Syrie où les forces kurdes soutenues par les bombardements de la coalition franco-américaine ont chassé en 2017 les combattants du proto-état islamique (Daesh). La situation qui prévaut n’offre de loin pas toutes les conditions de sécurité: tout d’abord elle jouxte la frontière turque et le gouvernement d’Ankara craint que cette zone devenue autonome relance, par contagion, les velléités d’indépendance ou pour le moins d’autonomie de sa propre minorité kurde; ensuite, comment ces réfugiés arabes seront-ils accueillis par les nouveaux maîtres kurdes de la région et quelle sera leur vie au quotidien sachant que Raqqa et ses environs sont truffés d’engins explosifs et que des éléments armés de Daesh font encore des incursions? Face à ces incertitudes, personne n’est parti. J’ai même vu deux hommes bâtir un poulailler, signe qui n’indique pas à un retour immédiat. Le HCR indique que 88% des réfugiés désireraient rentrer en Syrie mais le fossé est encore béant entre l’intention et l’acte. Les jeunes qui avaient déserté l’armée de Bachar al Assad seront-ils amnistiés? Les familles retrouveront-elles leurs habitats, documents d’identité et titres de propriété? Et, sujet hautement tabou, quel sera le sort réservé aux femmes et filles violées, acte considéré comme une tache pour l’honneur familial? En Europe, on parle de nombres: tant de réfugiés ici, tant dans un autre pays. Mais ici, derrière chaque femme, homme ou enfant se cache un drame, une histoire souvent sordide et, pour les plus âgés, les souvenirs d’une vie passée qui s’estompent.
Passages clandestins en direction de Chypre
La presse libanaise s’est faite l’écho durant mon séjour de passages de clandestins vers l’île de Chypre. Un navire a été arraisonné rapidement, trop rapidement aux yeux d’un ami politologue qui y voyait l’occasion d’une mise en scène entre les services secrets libanais et syriens à l’intention des chancelleries occidentales. Le message? On peut les retenir, mais, de votre côté, faites un effort diplomatique et financier! Les intérêts sont liés car le Liban n’en peut plus d’accueillir sur son sol plus d’un million de réfugiés et Damas, dans sa tentative de normalisation sous la tutelle de Poutine, a besoin de fonds, beaucoup de fonds pour sa reconstruction. Le problème des réfugiés sur sols libanais, turc et jordanien n’est pas résolu et il est à craindre, dans le grand bouleversement que connaît le Levant, qu’ils ne deviennent qu’une simple variable d’ajustement dans un nouvel ordre politique à construire.
Jean-Yves Grognuz,
25 octobre 2018