Les lecteurs de la FAVJ et les passants du Sentier ont appris la fermeture imminente de la Bijouterie Jacot. L’occasion de revenir sur le long cours d’une enseigne historique qui pourrait bien disparaître


On en aura parlé pendant quinze ans comme de la Bijouterie Jacot ou «chez Jacot», Grande-Rue 38 au Sentier. L’appellation devrait encore courir quelque temps, même avec des locaux désertés, dans un immeuble en rénovation, tant les habitants se sont habitués à cette fameuse enseigne de bijouterie-horlogerie de plain-pied au cœur du village.
La période initiale
Le point de vente et de réparation est plus que centenaire. On distingue quatre périodes dans son historique. La première est celle des Baud, propriétaires de la bâtisse et dont les membres y résident également. Emile Baud est un des horlogers combiers à fabriquer des montres entièrement terminées. Son fils Albert exercera comme géomètre au sous-sol. Un petit-fils partira exercer comme bijoutier à Montreux mais c’est le nom d’un autre petit-fils, Pierre Baud, excentrique professeur au collège, dont les Combiers se souviennent encore.
«Mourir sur ma banque»
Dans les années 30, la boutique est reprise par Alexandre Rochat. Sans être horloger lui-même, Alexandre est un passionné, en plus, mélomane averti, tout content de remonter de La Sarraz où il tenait déjà une boutique horlogère. Il vivra dès lors sur place avec sa famille, derrière la boutique, au rez. Le magasin vend pour les marques combières, montres, pendules et bijoux. La boutique fait aussi office de lunetterie et d’argenterie (pour les services de table) pendant les années d’après-guerre: quant au bâtiment, il est racheté par la Poste. Mary-José Rochat, fille unique du tenancier, se souvient: «Mon père disait toujours qu’il voulait mourir sur sa “banque”», autrement dit, le comptoir à tiroirs à l’entrée du magasin sur lequel il a reçu pendant cinq décennies(!) les clients souhaitant réparer une pièce ou en acquérir. «Il passait encore tous les jours au magasin» avant son décès en 1980.
Les deux décennies Piguet
En 1983, la boutique est reprise par Jacques Piguet à une époque où l’horlogerie de précision redémarre après la crise horlogère consécutive à l’arrivée sur le marché de la montre à quartz. «Au départ, nous avions un seul partenaire dans le haut de gamme, mais rapidement toutes les marques combières nous ont demandé d’être la vitrine de leurs produits. Nous étions devenus l’agent officiel de toutes les marques fabriquées à La Vallée, c’était une période très dynamique», se souvient Olivier Piguet, qui a rejoint son père dans l’affaire.
La décennie qui a suivi a été celle de l’ouverture des frontières menant aux accords de Schengen/Dublin et des cambriolages de triste mémoire au cœur du Sentier, qui ont fini par briser l’élan des propriétaires.
Un marché devenu compliqué
Dernière étape, le rachat en 2003 de la boutique par Raymond Jacot, horloger d’origine locloise qui avait déjà géré et racheté plusieurs commerces semblables. Au départ, La Vallée était pour cet homme d’affaires voyageur un véritable choix. Lui aussi devra faire face à la criminalité transfrontalière. En 2007, un magasin redessiné et redimensionné, mieux protégé également, est ouvert en grandes pompes.
Le défi principal reste le marché, lequel continue d’aller de plongées en redressements. L’évolution du marché a pris récemment un tour supplémentaire avec le souhait des marques d’avoir un lien direct avec l’acheteur et même de vendre sur internet. Ce nouveau modèle commercial est du reste en train de faire perdre bien des plumes au Salon Mondial de l’Horlogerie et de la Bijouterie de Bâle.
Au Sentier, les patrons de la bijouterie prennent de la distance. Une boutique n’est plus, de loin plus, la poule aux œufs d’or du passé.
Futur incertain
Raymond Jacot n’est plus actionnaire majoritaire de la boutique depuis décembre 2017 et son associé a décidé de fermer boutique quand le bâtiment a été racheté. Yildirim Varki, Combier d’adoption, actif dans la restauration rapide et déjà rénovateur de deux autres bâtiments se donne environ deux ans pour le remettre à neuf, avant de le relouer ou de le revendre. Il confie espérer trouver un bon gérant pour que le commerce puisse rouvrir rapidement.
Que va devenir la jolie surface commerciale bien située? Au vu de l’évolution du marché horloger, rien ne garantit qu’elle continuera d’être une enseigne de bijouterie, orfèvrerie et horlogerie.