Au Burkina Faso, le Français, langue officielle, prend des couleurs goûteuses. Vous devez inscrire votre enfant à l’école? Vous aurez le choix entre celle des «Petits savants» ou celle de «La réussite pédagogique». Besoin d’un logement? Adressez-vous à M. Touaré dont l’enseigne précise «Facilitateur». Un acte juridique? C’est M. Coulibaly, le «Procédurier», qui se chargera de tout. Ici les mots sont colorés comme les boubous des femmes et l’amabilité des habitants. «Soyez le bienvenu!» disent-ils avec un grand sourire pendant que des petits s’accrochent à votre pantalon.
Ruée sur l’or
Le pays connaît en certains endroits des ruées sur l’or et des campements poussent comme des champignons en des lieux jugés peu intéressants par les compagnies minières. Des puits d’où partent des galeries sont creusés à dix-quinze mètres par des hommes et des enfants qui risquent à tout moment un éboulement. L’air est pulsé par des compresseurs qui font un vacarme étourdissant. Des matrones préparent la popote et toute une économie s’est développée en surface allant du réparateur de motos au vendeur de bière. Il est dangereux de pénétrer dans ces zones sans accompagnateur fiable. Que de sueur pour un maigre revenu à moins d’avoir la chance de découvrir un bon filon. Mais ce n’est pas ici que les profits sont les plus conséquents. Tout au bout de la chaîne s’activeront les traders les yeux rivés sur leurs écrans, achetant et vendant cet or si convoité, à mille lieues de penser que des enfants maigres comme des chats peinent au fond des trous.
Figures étrangères
Eliane, 76 ans, est la figure d’un quartier de Bobo Dioulasso. Elle y vient chaque année hiverner et retourne à Cahors au printemps. L’Afrique, elle aime, elle a déjà vécu en Mauritanie et au Gabon avec son défunt époux, elle ne craint ni la chaleur ni le paludisme. Cheveux gris, énergique, ses voisins l’appellent Mamie. Il lui arrive de se plaindre car son quartier abrite de jeunes musiciens jouant du djembé et du balafon parfois tard le soir. Mais tout finit par s’arranger autour d’une Burkina, la bière locale. On est tolérant et le délit de «tapage nocturne «est totalement inconnu. Serait-elle une réfugiée «énergétique»? Sa facture d’électricité de France est élevée en hiver et sa migration lui permet de concilier dépaysement et petites économies.
Je m’attendais bien à rencontrer des commerçants libanais près du grand marché. Gassan et Joseph, la septantaine, m’invitent pour le repas de midi ce qui me change du traditionnel riz-sauce. La salle à manger ressemble à s’y méprendre à ses cousines du Mont-Liban, très tape-à-l’œil, toute en dorures, en napperons, en portraits de Saint Maron, mais les mets sont succulents à commencer par l’arak, l’anisette produite dans le village natal. Le commerce, c’est leur ADN! Vous avez besoin de vingt cuisinières ou de cinquante pneus et ils vous les livreront rapidement grâce à leurs réseaux chinois. S’ils sont totalement «africanisés» (leurs familles sont arrivées vers 1930 au Mali et au Niger), ils ont de la famille partout, au Koweit, au Canada, à Paris et même à Aigle. Joseph pense repartir un jour et Gassan était très préoccupé par la santé de son petit chien pour lequel il voue une attention maternelle. Comment est perçue la communauté libanaise? On les dit «gourmands en affaires» et feraient «des cadeaux de Noël aux puissants».
Giovanni, le Sarde, est venu au Burkina Fasso par des chemins improbables risquant sa vie en traversant l’ancien Sahara espagnol au milieu de champs de mines à peine sécurisés pour les véhicules. L’homme est un mélange d’aventurier et d’entrepreneur. Il tient deux restaurants et une ferme où il élève des poulets et des vaches. Il toise son interlocuteur d’un seul regard: j’ai passé l’examen et prendrai mon repas à sa table. A lui, on ne la fait pas, le nez dans son assiette tout en contrôlant son personnel! Ses colères sont parfois mémorables. Chauve, volubile, tout en rondeurs, il a passé quelques années à la tête d’une cantine d’une compagnie minière en Mauritanie. Appuyez sur le bouton «cuisine» et il devient intarissable, évoquant ses pâtes (recette de la mama), ses jambons, ses plats mijotés en se tapant sur le ventre. Mais il voit ses affaires péricliter en raison de l’insécurité et rêve d’un retour en Sardaigne: son regard s’est embué quand il a parlé de sa vigne et de ses oliviers.
Concerts
Des concerts ont lieu en fin de semaine dans des «maquis», bistrots de bords de route où s’exprime la musique traditionnelle du Burkina. De très jeunes musiciens sont parfois admis au sein des groupes et ils y font à l’oreille leur formation musicale: un garçon d’une dizaine d’années est déjà remarquable au djembé, accompagné au balafon par Innocent dont la puissance rythmique et le sens de l’improvisation me font penser à des jazzmen de Chicago. De jeunes femmes dansent comme prises dans une transe et une nuée de gamins écoutent sous des loupiotes qui attirent les insectes. Les concerts sont prisés et la Burkina plus ou moins fraîche est servie avec le traditionnel riz-sauce.
Jean-Yves Grognuz,
10 mars 2019
