Monsieur le Président,
J’ai bien reçu le 14 juin le tout-ménage de votre parti. Oh, ce n’était pas fortuit, cela tombait le même jour que la grève des femmes dont les revendications n’ont jamais rencontré de la part de l’UDC un écho décoiffant. Les élections nationales approchant, il était de bonne guerre de se rappeler au souvenir des électeurs. Les autres partis feront de même. Le PLR sous l’impulsion de sa Présidente va à coup sûr «verdir» son discours, le rendre «écolo-compatible mais de manière raisonnable». En bonne politicienne, elle a senti le vent du boulet passer sur sa tête en voyant des milliers de jeunes défiler pour des motifs liés au réchauffement climatique et les pertes de sièges aux dernières élections cantonales de Zürich et de Lucerne lui ont donné des sueurs froides. Les socialistes espéreront tirer leur épingle du jeu et, grand suspense, les Verts dépasseront-ils le PDC ce qui leur permettrait de revendiquer, mais certainement en vain, un siège au Conseil fédéral? Avouez qu’au final, cela ne sera pas la prise de la Bastille.
Mais c’est à vous, Monsieur le Président, que je tenais à m’adresser. J’ai bien lu votre édito ainsi que les articles signés de vos élus. Bigre, neuf pages tout de même, cela doit coûter un pognon de dingue comme dirait Macron. En matière d’immigration vous restez dans votre couloir de course en fustigeant les étrangers à l’égal du péché. Ils sont nombreux ce qui est statistiquement vrai; ils sont porteurs de tous les maux ce qu’il faudrait tout de même démontrer.
Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous conter une journée ordinaire d’un citoyen tout aussi ordinaire. Tôt le matin, deux ouvriers étaient devant chez moi; l’un est Italien et s’activait au marteau-piqueur tandis que son collègue d’origine africaine poussait la brouette. Un peu plus loin, le long des façades d’une prestigieuse manufacture horlogère, j’ai admiré à quel point des échafaudages étaient prestement érigés par une dizaine de monteurs venant de divers pays. Vous pouvez me croire Monsieur Rösti, ça bardait sur le chantier. A midi, je fus aimablement servi par une dame portugaise et son collègue du Kossovo qui doivent à eux deux cumuler une soixantaine d’années de service dans le même restaurant. Selon la patronne d’origine lorraine mais bien intégrée je vous rassure, ils font partie de la famille. Visite de ma maman en EMS l’après-midi. Alors là, Monsieur le Président, je me serais cru à l’ONU: Mamadou est marmiton, Maria du Portugal et Fatima de Tunisie s’occupent des personnes du troisième étage, Mehmet est le prince du balai et Eglantine, l’animatrice, est frontalière. Le directeur est tout de même Vaudois: il choie ses résidents comme le fait son personnel et ma maman ne manque jamais de leur dire merci. Normal, sans elles, sans eux, l’EMS fermerait ses portes.
Vous dites qu’ils sont trop nombreux. Où fixer le curseur? Sur ce point vous êtes muet mais en matière d’affirmations surprenantes vous n’y allez pas de main morte. J’ai lu dans votre tout-ménage que l’augmentation d’un million d’habitants en Suisse durant treize ans aurait pour conséquence une consommation supplémentaire de 59 milliards de litres d’eau chaque année; s’il manque de l’eau en été pour notre agriculture c’est donc à cause des étrangers qui boivent comme des dromadaires au lieu de déguster du Vinzel. CQFD. Vous voyez, l’été passé à La Vallée, c’était comme dans le film «Apocalypse now» avec ballets d’hélicoptères pour abreuver les vaches des alpages. Auraient-ils cessé de boire l’eau de nos robinets que les citernes des chalets ne se seraient pas pour autant remplies.
En matière de changement climatique, je note que votre parti a fini par admettre qu’il se passe bien quelque chose en ce bas monde. Peut-être que vos enfants ont versé une larme en voyant à la TV des ours blancs faméliques chercher désespérément leur pitance ou alors avez-vous constaté que nos beaux glaciers fondent à vue d’œil? Les ours blancs, ce n’est peut-être pas votre truc, c’est loin de chez nous, mais les glaciers si beaux qui disparaissent doivent émouvoir l’âme patriotique qui sommeille en vous. Mais vous avancez avec la prudence d’un Sioux car il faut, je vous cite «faire appel au bon sens humain et garder le sens de la mesure». Rien de bien hardi, pas de quoi tomber de sa chaise! Mais je vous en sais gré, vous ne niez plus le phénomène comme le fait encore Donald Trump. Le Conseiller national UDC Roger Köppel a tout de même déclaré que si les jeunes étaient descendus dans les rues par milliers pour faire part de leurs inquiétudes en matière de changement climatique, c’était parce qu’ils avaient été excités par leurs professeurs. Excités, mais quelle horreur! Cela dénoterait de la part du corps enseignant une attitude moralement répréhensible passible de renvoi immédiat pour justes motifs. Là, je peux vous rassurer, je connais ce milieu professionnel; s’ils devaient exciter leurs élèves, ce serait lors des cours de mathématiques et de français.
Il faut éclairer ma lanterne sur tous ces points, me dire clairement ce qu’il faudrait faire en matière migratoire que vous liez au changement climatique. Faudrait-il limiter le nombre de cadres expatriés qui foisonnent sur l’Arc lémanique et qui contribuent aux bouchons sur les autoroutes et à la hausse des prix de l’immobilier? Vous êtes bien trop libéral pour y penser un seul instant craignant de vous attirer les foudres d’une foultitude de syndics qui comptent sur leurs impôts et ceux de leurs entreprises. Limiter également le nombre de chercheurs étrangers à l’EPFL? Vous vous feriez taper sur les doigts par les milieux industriels, même par Monsieur Blocher, pour lesquels formation et recherche sont indispensables à notre économie. Diminuer drastiquement le personnel étranger de la restauration, des hôpitaux, des EMS, de la construction, du nettoyage, de l’industrie? Proposition choc, mais par qui les remplacer? Par du personnel estampillé helvétique pur sucre qui souvent répugne à effectuer ces travaux et qui de toute façon serait insuffisant?
La politique, vous le savez bien, c’est l’art du possible et des compromis et non des slogans proférés sous la cantine d’un repas de soutien à la veille des élections. L’UDC viendrait-elle cet automne à perdre quelques sièges? Les équilibres au sein du Conseil national n’en seraient nullement affectés. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, Monsieur le Président.
Jean-Yves Grognuz
Le Sentier