Passionnée par l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et ayant eu le grand privilège de côtoyer Monsieur Bernard Bouveret à différentes occasions, c’est avec une grande émotion, voire une certaine fébrilité que je me suis rendue au spectacle «Le silence des bois» organisé par la Compagnie Le Clédar.
Depuis la prise en charge par le bus navette, l’arrivée dans le somptueux décor offert par la forêt du Risoud, avec en prime la superbe fresque des portraits des Passeurs et les notices explicatives, l’accueil chaleureux sous la cantine, l’excellent repas servi avec diligence par du personnel souriant et efficace jusqu’à la couverture bienveillante et militaire en vue de la fraîcheur du soir, tout était parfait.
La représentation débute, le doute s’installe et le soufflé commence à tomber. Il ne fera – sauf durant la scène du travelling qui nous rapproche vaguement du sujet – que continuer de tomber.
Force est de constater que, dans la pièce «Le silence des bois», on baigne en plein nombrilisme. Le sujet traité étant les Passeurs du Risoud, on peut s’attendre à ce que les principaux acteurs soient Bernard Bouveret, Fred Reymond, Victoria et Madeleine Cordier ou Anne-Marie Im Hof-Piguet. Malheureusement non, le metteur en scène se met lui-même au centre de l’intrigue, pour autant qu’on puisse qualifier la pièce d’intrigue.
Je reconnais que l’exercice consistant à créer une pièce de théâtre sur les Passeurs du Risoud est un exercice très ardu. La technique du «théâtre dans le théâtre» ou de la mise en abîme telle qu’utilisée ajoute, de surcroît, une difficulté supplémentaire dont la pertinence et l’utilité restent à prouver.
N’aurait-il pas été préférable, dans le cas précis, de redonner enfin, et tout simplement, la parole aux Passeurs? Eux qui ont su agir, dans l’anonymat et le silence du geste qui sauve.
Eux qui ont dû continuer à gravir les montagnes et déplacer les frontières dans l’attente d’une tardive reconnaissance institutionnelle. La pièce aurait alors gagné en authenticité, en respect; elle aurait permis de rappeler et d’actualiser les valeurs, les idéaux et les aspirations qui étaient à l’origine de leurs motivations et de leurs actions désintéressées.
Dans un contexte où le négationnisme et l’extrême droite refont dangereusement surface un peu partout en Europe et ailleurs, à l’heure où les derniers témoins de cette triste période de l’Histoire de l’humanité se raréfient, le travail de mémoire est prioritaire.
C’est avec un sentiment de grande déception que je suis arrivée au bout de la pièce. Fatiguée de surcroît d’avoir dû tendre l’oreille sans relâche pour comprendre les acteurs parfois dos au public, j’ai réprimé la folle envie de quitter les lieux avant la fin et sans attendre l’inintéressant dénouement des problèmes familiaux et pécuniaires du metteur en scène.
Quelle tristesse, quel gâchis… Un tel spectacle, non représentatif, jouant avec l’Histoire sans la respecter, sans la servir, ni la transmettre telle qu’elle doit l’être, constitue un jeu dangereux. Les acteurs de ladite pièce n’ont-ils donc jamais eu l’impression de bafouer la mémoire des Passeurs tout au long de leur (excellente pour certains) prestation? J’en suis perplexe.
Permettez-moi de conclure ces quelques considérations par l’expression d’un profond et inaltérable sentiment de reconnaissance et de gratitude envers les Passeurs du Risoud qui ont écrit un chapitre important de l’Histoire. Ils ont été et sont encore un exemple, une représentation vivante des valeurs qui doivent, sans relâche, nous habiter, conduire nos réflexions et nos actions de citoyens responsables.
Puissent ces héros de l’ombre continuer à protéger, inspirer et motiver les générations futures.
Comme a dit M. Bouveret récemment, s’adressant à un groupe de jeunes gens: «Vous savez, ce n’est pas fini, la résistance continue».
Huguette Baccini