Le climat et l’environnement s’affichent en tête des préoccupations actuelles. Avec sa nature préservée de carte postale, ses hauts marais et son parc naturel, mais aussi son développement économique et énergétique dont elle doit concilier les intérêts, la Haute Combe est un riche terrain d’étude. Cette rubrique est consacrée aux initiatives locales. En l’occurrence, le récit de voyage à portée initiatique d’un jeune Combier.
Assis sur un tronc d’arbre, je respire le calme qui m’entoure. La lumière voilée éclaircit avec douceur la forêt qui semble s’être endormie pour quelques mois. Silence complet. Tout paraît immobile, inerte, statique, et pourtant la vie est ici, au milieu de nulle part, plus présente qu’ailleurs. Mon cœur s’adapte au rythme primitif qui bat avec lenteur autour de moi. La paix profonde de ces lieux m’envahit. Depuis, je reprends peu à peu pied dans la société occidentale, dont je dois bien admettre avoir développé des valeurs différentes. Ce voyage de 22’000 kilomètres à vélo n’en compte pas moins intérieurement et dont voici les principaux piliers: l’humanité, la nature et la sagesse.
Mal-être du bureau
Je revois le long chemin qui m’a amené à voir le monde avec cette conscience et cette présence. Deux ans plus tôt, je consommais la vie sans vraiment considérer la valeur des choses, compensant le mal-être du bureau avec d’extravagants plaisirs. Puis j’ai tout plaqué, curieux de voir s’il existait d’autres modes de vie et manières de penser. Le vélo semblait le meilleur moyen pour mener une quête d’inspiration, tout en respectant l’environnement. En vérité, il s’est révélé le bon choix pour voyager proche de l’humanité et de la nature.
Tous reliés
L’unique vol du voyage me fit débarquer à Mumbai, en Inde. Depuis là, je découvris à vélo le continent indien durant plus d’une demi-année. Celle-ci fut extrême en tous points. Les traditions spirituelles datant de plusieurs millénaires ne manquèrent pas de m’affecter. Je vécus en quelque sorte un éveil envers ce qu’ont en commun hommes, animaux, atomes, terre, étoiles, tous universellement reliés. La communauté indienne a intégré cette philosophie provenant de l’hindouisme pour vivre harmonieusement.
Ne différenciant plus le «je» et le «eux» et vivant avec la simplicité qu’implique le nomadisme, je partageai mon retour à l’essentiel auprès d’indigènes à l’existence on ne peut plus rudimentaire.
Sur la route de la Soie
Après l’Inde, le Népal et le Tibet, je rejoignis la Route de la Soie dans le Xinjang (Chine) avant de m’aventurer dans la vaste Asie Centrale. Seul dans l’immensité de la steppe, des montagnes du Tien Shan et des déserts, je tissais un lien profond avec cet environnement naturel, magique à mes yeux. Peu à peu, je me fondais en moi-même et ce moi semblait se connecter et fusionner avec cette majestueuse nature, épargnée des souillures de l’homme.
Après cette longue période en solitaire, dans la quiétude des déserts du Moyen-Orient, je vécus la romance des ciels étoilés auprès d’une douce compagne cyclo-voyageuse. De même que je connus l’amitié rayonnante qui lie les compagnons de voyage avec un acolyte italien. Nous admirions les trésors des bazars, l’architecture islamique, ainsi que la générosité perse. L’amour que les hommes ont à donner me toucha.
Désespoir et espoir
Puis durant la belle saison, en Turquie et dans les Balkans, ma compagne et moi nous épanouissions en étant en permanence proches de la nature. Rassurés par son calme nous relativisions avec sagesse les difficultés de la vie. Dernière étape, nous rejoignions l’Europe et la société de consommation. Nous y constations le désespoir face au réchauffement climatique mais aussi l’espoir de ceux qui sont prêts à changer leur mode de vie pour respecter la nature.
La nature partenaire
Le voyageur à vélo passe la quasi-totalité de son temps à l’extérieur, à l’inverse de la plupart des sédentaires. De ce fait, la nature devient une partenaire maternelle que l’on côtoie de jour comme de nuit, par beau ou mauvais temps, par chaud ou froid, vent de face ou de dos. De plus, sur les grandes distances d’un voyage, on l’observe dans tous ses aspects: montagnes, plaines, vallées, lacs, mers, rivières, forêts… On la voit se transformer, évoluer au fil des kilomètres. On l’admire.
C’est elle qui décide de notre sort, car notre vie quotidienne dépend entièrement d’elle. Parfois, elle nous fait expérimenter la disette, la soif, la maladie, la souffrance, mais aussi la satiété, le bonheur, la paix, l’équilibre.
La nature est notre habitacle, notre assiette et également nous-mêmes. Nous sommes la nature! Nous sommes… Sans la nature nous ne mangeons pas et nous ne sommes pas.
Ossature de l’existence
Voyageur par excellence, Nicolas Bouvier a parfaitement su imager avec des mots l’importance de la nature dans son ouvrage mythique L’usage du monde: «Finalement, ce qui constitue l’ossature de l’existence, ce n’est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d’autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l’amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible cœur. »
Réapprendre à s’émerveiller
Le voyage n’est qu’un moyen pour quitter une routine technologique, mais il n’est pas la seule fin pour s’émerveiller de la nature. Il suffit de tourner le regard pour se perdre infiniment dans un somptueux paysage, d’ouvrir son cœur pour sentir la paix lorsqu’on est seul en son sein, d’éveiller son odorat et ses papilles pour apprécier le temps et l’énergie qu’il aura fallu à un épi de blé, une pomme, ou une goutte d’eau pour être.
Bien que l’univers semble par sa continuité et perpétuité indifférent aux soucis des mortels, la nature et la vie comme on les connaît, reposent fatalement sur un équilibre subtil, éphémèrement à la merci de notre société. Souhaitons que l’amour envers la nature contribue à préserver les richesses de notre terre!
Guillaume Berney