Nous étions huit sur la place de l’église, la plupart habillés de noir, tous douloureusement éloignés les uns des autres, la distance n’étant comblée que par notre tristesse commune.
L’entrepreneur des pompes funèbres nous invita à entrer un par un et à nous disséminer dans l’espace que le temple nous offrait.
Je m’assis le plus en arrière possible… Si je devais craquer, il était hors de question que cela se voie. Car si moi, «l’homme de la famille» comme grand-papa m’appelait, n’était pas assez fort pour soutenir ma grand-maman, alors je trahirais sa confiance.
Je dois avouer avoir laissé quelques sanglots et larmes s’échapper de moi lorsque la pasteure nous rappela quelques bribes de la vie et du caractère de celui qui n’était plus.
Je me rendis compte que mon encyclopédie préférée avait tourné sa dernière page, que le puits de connaissances auquel je venais si souvent m’abreuver s’était tari.
Lorsque l’orgue commença à résonner dans la salle vide, le soleil nous fit part de ses propres condoléances en traversant les vitraux, projetant sur les fleurs ornant le cercueil des couleurs d’or et de flammes.
Grand-papa voulait mourir seul, rapidement, et souhaitait un enterrement intime: «Seulement mes enfants et mes petits-enfants» avait-il l’habitude de dire. Le coronavirus a pris la décision à notre place… et exaucé son vœu.
La pasteure eut quelques instants d’émotion elle aussi, même si nous étions des inconnus pour elle, notre comité dérisoire ayant rendu notre détresse contagieuse.
Lorsqu’ils sont venus prendre le cercueil, je ne pus m’empêcher de pleurer à nouveau. Cet homme qui avait tant pris soin de moi se trouvait dans cette boîte, sans que plus jamais je ne puisse le revoir autrement que dans les souvenirs que je garderai précieusement.
Cruelle destinée et fatalité de la vie; nous ne sommes faits que pour passer, locataires d’un bail qu’elle peut résilier à tout instant, aussi aimés, intelligents et bons que nous puissions être.
Nous nous sommes levés pour suivre le cercueil, tout en gardant les distances réglementaires. Je ne réalisai l’étrangeté de toute la situation que lorsque nous avons dû attendre à la file indienne qu’ils enlèvent les fleurs et mettent le cercueil dans le corbillard, et cela me fit esquisser un triste sourire.
Fermant la marche, quand je sortis de l’église, je ne vis que brièvement la voiture transportant grand-papa s’éloigner et je me dis: «C’est ce qu’il aurait voulu: que nous ne soyons que huit sur la place de l’église à le regarder s’enfuir… ailleurs…»
Bon voyage, grand-papa !
Ton petit-fils John