Le dernier culte réformé célébré dans le canton de Vaud remonte au 8 mars dernier, c’était le deuxième dimanche du Carême. Depuis, les pasteurs ont dû, comme d’autres, se réinventer et notamment enregistrer des célébrations devant une caméra. Noémie Steffen-Rakotoarison, en poste à La Vallée depuis quatre ans, nous a raconté un peu le quotidien de pasteur confinée.
Comment allez-vous, Noémie Steffen-Rakotoarison?
Nous allons bien. Nous sommes reconnaissants d’être ici pour vivre tout ça. Nous avons de la chance à La Vallée, avec la nature et le beau temps, mais il y a un souci les uns des autres qui est propre à cette région. Bien sûr, la situation est déstabilisante et nous avons dû nous adapter, faire preuve de flexibilité.
Un exemple concret?
Nous sommes une profession très sociale, nous avons l’habitude d’être en déplacement. Or là, nous étions à domicile pour continuer d’accompagner les gens dans leurs besoins. Beaucoup s’est fait par téléphone et par contacts électroniques. Le site internet de la paroisse a été un outil de choix. Nous avons mis en place des nouvelles, pour sauvegarder le lien au sein de la paroisse et une permanence téléphonique dans chaque village. Les liens sont toujours là, mais autrement.
Nous avons beaucoup pris des nouvelles des gens, mais eux aussi ont pris des nouvelles de nous. C’était touchant.
Avec mes collègues réformés Antoine Schluchter et Tojo Rakotoarison [également son mari ndlr], nous mettons en ligne chaque samedi soir ou dimanche matin un culte à vivre à la maison sur le site Internet de la paroisse.
Et quid de la communauté? Comment a-t-elle pu continuer d’exister pendant le confinement?
Elle reste vivante. Les gens prennent des nouvelles les uns les autres… Les paroissiens la sentent, autant que je puisse m’en rendre compte. Il est clair que nous n’avons pas pu contacter chacun…
Qu’avez-vous appris, redécouvert, voire changé dans votre fonctionnement?
La valeur du temps. En tant que pasteur, on est parfois happé par des choses non essentielles. Ce temps a été pour moi une occasion de redécouvrir la présence de Dieu dans notre journée. Dieu, lui, n’est pas confiné; c’est beau de le découvrir dans le quotidien. J’ai eu davantage de temps pour prier.
La gestion du temps est toujours une question de choix. Si l’on prie beaucoup ou moins, c’est une question de priorités dans nos vies. Mais là, avec ce confinement, un espace est donné.
La Pâque chacun chez soi fut un fait unique probablement dans l’histoire du christianisme. Comment avez-vous vécu ces moments?
L’aspect communautaire a manqué, c’est certain. La foi chrétienne se vit ensemble, pour se retrouver, louer Dieu, le prier. En même temps, nous avons pu mettre sur pied une brève célébration œcuménique, filmée en la Croisée de Joux, à L’Abbaye et diffusée sur Val TV. Ce fut un beau signe d’unité. Dans ces temps difficiles, cela a fait du bien. Et nous avons eu de bons échos de cette démarche.
Depuis lors, les églises protestantes ont disposé chacune à leur tour d’un créneau sur ValTV, quatre dimanches de suite. Et nous avons mis les textes des célébrations à disposition des personnes n’ayant pas la télévision. Nous sommes très reconnaissants à ValTV pour cette possibilité qui nous a été donnée.
Le dimanche d’après Pâques, j’ai ainsi pu commenter la rencontre du Christ ressuscité avec deux voyageurs, sur le chemin d’Emmaüs, dans l’Evangile de Luc. Dieu nous rejoint sur notre route et on ne le reconnaît pas… ou pas toujours.
Moment plus difficile de votre ministère, les services funèbres. Ils ont été nombreux ces dernières semaines et en plus, ont dû se tenir dans la stricte intimité des proches. Comment avez-vous vécu ces moments?
Effectivement, il est difficile de vivre un deuil par les temps qui courent. Au cœur de la crise, avec dix personnes au maximum, il y a eu des moments forts, pas évidents. En même temps, des choses bienfaisantes se vivent pendant les cérémonies, qui prennent tout leur sens. Malgré la distanciation sociale et les gestes barrières, on est en lien, je dirais même plus: le contact est très vrai.
Les mesures ont été assouplies, depuis. La famille élargie est autorisée à suivre les obsèques, jusqu’à cinquante personnes, dans un lieu approprié. Ce sera probablement le temple du Sentier.
Le déconfinement est lancé et vous devez encore attendre. Comme tous les rassemblements de personnes, les Eglises arriveront en dernier, pour ainsi dire. Est-ce que vous rongez votre frein?
L’aspect communautaire me manque, il fait partie de ma foi, et je me réjouis que les cultes reprennent. Nous sommes conscients toutefois que ce n’est pas pour tout de suite. Je comprends les raisons, il faut être patient. Est-ce que je suis philosophe? Non, pragmatique. Il est important que les choses se passent dans le bon temps.
On connaît tous l’adage «loin des yeux, loin du cœur». Je crois au contraire qu’on peut être proche du cœur en étant loin des yeux. Voilà ce qui m’aide à garder patience.
Avez-vous connaissance d’un lobbying des responsables ecclésiastiques pour rouvrir les temples le plus vite possible, comme c’est le cas en France?
Gottfried Locher, le président du Conseil de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, a interpellé directement le Conseil fédéral quant à la réouverture des lieux de culte. «S’il vous plaît, pensez aussi aux Eglises», c’était son message. Il a pu discuter en direct avec la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter.
Prévoyez-vous des effets à long terme sur la vie paroissiale et spirituelle?
C’est une période où beaucoup de nos certitudes sont ébranlées, y compris par rapport à l’avenir. Personnellement, je suis de nature assez positive, je pense que les choses vont aller dans le bon sens. J’envisage surtout de belles retrouvailles quand le confinement sera pleinement levé. C’est toujours le cas quand on a manqué les uns aux autres. Il suffit de perdre quelque chose pour prendre la mesure de sa valeur, en l’occurrence: la grâce d’être en relation les uns avec les autres. Je vois la joie de se retrouver, avec des liens renforcés malgré la crise.