Préambule
Je suis au téléphone avec une amie journaliste de Beyrouth lorsque j’entends une énorme déflagration. Cris, bruits indéfinissables, ligne coupée. Je pense à un attentat et me branche sur les réseaux sociaux et les chaînes TV.
Et encore un malheur pour ce petit pays grand comme la Suisse romande
Il y aura un avant et un après l’explosion de 2750 t. de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth causant 171 décès, 6000 blessés et des dégâts considérables dans les quartiers alentours. Pourquoi cette matière hautement dangereuse était entreposée depuis six ans alors que le directeur des douanes avait à de multiples reprises alerté les gouvernements successifs? Pour l’instant, on pointe du doigt une négligence criminelle à tous niveaux tout en soulignant que le port est contrôlé par le Hezbollah, parti politico-
religieux.
Un avant en forme de descente aux enfers
Le Liban depuis plusieurs années glissait vers l’abyme et cette situation s’était renforcée depuis le
17 octobre dernier, date du début d’une contestation de large ampleur réunissant des citoyen(ne)s
de toutes confessions. Ce mouvement transcommunautaire dénonçant les maux politiques, économiques et sociaux n’avait pas su ou pu faire émerger un courant structuré et animé par des personnalités issues de la société civile. Les motifs ne manquaient pourtant pas: un système politique basé sur le confessionnalisme qui s’était bétonné durant la guerre (1975-1990) et qui ne s’était pas éteint à la suite des accords de paix de 1989; une corruption endémique qui organise le pillage des deniers de l’Etat; des services publics dignes du Tiers-Monde en matière d’approvisionnement en électricité et eau; un système de formation très inégalitaire qui oblige les parents à inscrire leurs enfants dans des écoles et universités privées, donc chères, pour autant qu’ils en aient les moyens; les ordures ménagères enfouies le long de la mer sans tri préalable etc. Ajoutez à ces maux le Covid-19 qui a fait fuir les touristes, plus d’un million de réfugiés syriens qui ne sont pas prêts de repartir. Il ne nous manque plus que les sauterelles de l’Ancien Testament m’avait dit un jour un ami libanais!
Sur le plan économique, l’Etat est en faillite et ne peut honorer ses dettes (160 % du PIB). La livre qui s’échangeait à un cours de 1500 pour un dollar s’est effondrée à 8000 provoquant une inflation monstre. Cette dépréciation s’est accentuée par l’effondrement de l’économie syrienne: les monnaies nationales ont viré monnaies de singe et tout le monde recherche du dollar. Quant à la population, la moitié a passé sous le seuil de la pauvreté et le tiers des actifs sont sans emploi.
Visite du Président Macron
«Du jamais vu dans ma carrière» a déclaré le journaliste Claude Weill sur la chaîne LCI. A peine arrivé et rompant avec les usages diplomatiques, le Président français s’est rendu au port puis s’est arrêté rue Gouraud. Il a écouté les cris de douleur, les invectives adressées aux membres du gouvernement «Pendons-les tous!», expliqué le but de sa venue et promis que l’aide d’urgence serait canalisée via les organisations non gouvernementales afin d’éviter des détournements. Puis il a pris dans ses bras une femme éplorée: par ce geste hautement symbolique, c’est l’ensemble du peuple libanais qu’il étreignait alors que les dirigeants restaient planqués dans leurs palais.
Des réformes d’abord, le pognon après
Lors de sa conférence de presse, le Président Macron a transmis des messages on ne saurait plus clairs à la classe politique du pays hôte, en fait une succession de camouflets. Il n’y aura pas d’aide du Fonds monétaire international ni celle résultant de la conférence CEDRE de 2018 (10 milliards de dollars bloqués) tant que des réformes sérieuses n’auront pas été mises en place. La communauté internationale est lassée de voir les turlupins de cette république de pacotille, champions toutes catégories de la mendicité internationale aussitôt transformée en villas avec piscines, 4×4 blindés et comptes bancaires dans des paradis accueillants. Fin juillet, le chef de la Sûreté avait été envoyé au Koweit pour tendre la sébile; on aura certainement offert à cet espion-chef le thé et trois dattes mais il est rentré sans un baril de fioul et sans dollar en poche.
L’après
Lors d’une visioconférence, Emmanuel Macron a fédéré les donateurs afin de débloquer une première tranche d’aide humanitaire qui sera distribuée via des organisations fiables. Le Premier ministre Hassane Diab ainsi que son cabinet ont démissionné; cela ne changera rien à la donne car ce gouvernement avait été formé lors de tractations entre les principaux partis. Recourir à des élections législatives anticipées? Cela pourrait être tentant selon les amis que j’ai consultés mais elles devraient avoir lieu dans un laps de temps suffisamment long pour permettre à des partis (ou mouvements) issus de la société civile de les préparer et que la loi qui fait la part belle aux partis traditionnels soit modifiée. Aux dernières élections, seule la députée indépendante Paula Yacoubian fut élue sur un total de 128 parlementaires!
Si la société civile est en rage et qu’elle l’a exprimée plusieurs fois ces derniers jours au centre du Beyrouth, les partis de la majorité – CPL chrétien, Amal chiite et le Hezbollah inféodé à l’Iran ne lâcheront pas la partie sur simple révolte populaire pacifiste. L’une des clés de la solution réside en Iran qui guide son pion, le Hezbollah, et lui finance une milice supérieure en force à celle de l’armée nationale. Même les Israéliens le craignent. Téhéran a patiemment constitué un axe chiite de l’Irak au Liban en passant par la Syrie. Même si les sanctions décidées par les USA affectent l’économie iranienne et par ricochet l’aide financière apportée au Hezbollah, il ne faut pas s’attendre à ce que le Parti de Dieu renonce à ses objectifs. Voici donc le Président français placé au centre de cette confrontation. Il est revenu au Liban comme promis ce lundi 31 août au soir.