J’ai été un peu choqué par l’agressivité et la haine qui transpirait de votre courrier, paru dans la FAVJ du 3 septembre – je suis peut-être un peu sensible. Mais surtout, je me suis dit que le plus choquant serait de laisser ce papier sans réponse.
Votre négation des problèmes écologiques ne regarde que vous et je ne vais pas essayer de vous convaincre, vous êtes certainement bien trop cultivé et intelligent pour que je puisse vous apprendre quoi que ce soit – et je ne veux pas non plus vous faire peur. Mais à l’attention des autres lecteurs, j’aimerais rappeler quelques évidences:
– Nous vivons actuellement à crédit sur notre planète; cela signifie que nous utilisons chaque année davantage les ressources de la Terre que ce qu’elle peut produire. Au niveau mondial, le «jour du dépassement», c’est-à-dire le jour où nous avons consommé les ressources disponibles pour l’année est tombé en 2019 le 29 juillet, cette année le 22 août en raison du Covid – j’y reviendrai.
– Il est prouvé par un nombre impressionnant d’études indépendantes que le dérèglement climatique dont nous constatons les effets de plus en plus fréquemment est causé par l’activité humaine, en particulier les émissions de CO2 et d’autres gaz. Quelques études financées par les lobbys pétroliers tentent de démontrer le contraire, mais elles ne réussissent à convaincre que Donald Trump et quelques autres idiots. M. Aubert, lorsque vous parlez de désinformation, en voici un parfait exemple: les premières mises en garde par les écologistes, il y a quelques décennies déjà, ont été contrées à grands renforts de contre-études commandées par tous ceux qui avaient intérêts à ce que l’économie de la surconsommation continue à fonctionner. Cela a marché un moment, mais à la longue, cela n’a pas résisté à la réalité des faits.
– Cette surconsommation, justement, la mode du jetable qui plaît tellement à certaines industries, a fini par créer des raréfactions de ressources, une quantité de catastrophes écologiques régionales et des inégalités qui n’ont jamais été aussi importantes.
Alors lorsque la jeune militante que vous avez entendu à la radio a affirmé que «le Covid-19 est peut-être une aubaine pour la planète», elle voulait certainement dire que c’est l’occasion de réfléchir à notre mode de fonctionnement. Nos habitudes, vous le soulignez dans votre papier, ont été modifiées par le Covid – était-ce entièrement justifié ou non – quoi qu’il en soit, c’est également un fait. La conséquence immédiate, je l’écrivais plus haut, a été effectivement bénéfique pour la planète, mais seulement dans l’immédiateté. La grande question, que cette militante voulait probablement poser, est de savoir si nous allons ensuite reprendre exactement comme avant, ou est-ce que nous allons «profiter» de l’occasion pour remettre en question une partie de notre mode de vie. De nombreuses entreprises ont déjà annoncé qu’elles allaient autoriser davantage de télétravail. Voici un exemple de ces changements qui, en l’occurrence, profitent à l’employé qui économise du temps et de l’argent pour les transports, à l’employeur car il est démontré que la productivité est souvent meilleure en télétravail, et enfin à la planète car cela fait autant de trajets (et donc de pollution) en moins. Et je ne crois pas que prendre le temps de ce genre de réflexion soit faire injure aux personnes qui ont perdu la vie ou des proches durant cette pandémie. Cela n’a simplement rien à voir.
Bien sûr, vous pouvez imaginer, M. Aubert, que le Covid a été placé là à dessein par un complot d’extra-terrestres judeo-francs-maçons d’extrême gauche – tant qu’à être complotiste, allons-y franchement! Mais ce n’est pas très crédible parce que, comme je l’expliquais, l’effet «bénéfique» du Covid sur l’environnement est pratiquement nul, sauf à très court terme. Pour que l’effet soit positif, il faut une remise en question en profondeur de notre mode de vie.
Quant à votre fameuse «écolocrature», c’est la partie la plus amusante de votre texte. Si je vous paraphrase, vous reprochez aux Verts de vouloir faire régner la peur et de mépriser l’humain. Mais dans quel but? Le parti écologiste est le parti le plus transparent au niveau de son financement, le plus indépendant de tout lobby et dont les militants ne font que défendre leurs convictions, non leurs intérêts financiers personnels. Les valeurs d’humanisme, d’égalité des genres et la vision à long terme ont toujours été au cœur de la vision politique des Verts. Tout le monde ne partage pas ces valeurs, je le comprends très bien, mais de là à craindre une dictature basée sur ces principes, vous êtes vraiment très imaginatif, M. Aubert. Mais à propos, pourquoi les Verts ont rencontré des succès un peu partout en Europe et en Suisse récemment? Le discours des écologistes n’a pas vraiment changé, mais il semble simplement qu’une partie de la population ait compris les évidences dont je parlais plus haut et constaté que les autres partis ne sont pas forcément très crédibles pour apporter des réponses à ces questions.
Encore un petit mot à propos de Greta Thunberg, à qui vous semblez vouer une haine viscérale. Cette jeune femme n’est pas une marionnette, elle est une porte-parole. C’est un peu par hasard qu’elle s’est retrouvée propulsée sur les devants de la scène, et surtout parce que le mouvement écologiste et les jeunes en particulier avaient vraiment besoin d’avoir une tête pour les représenter. C’est tombé sur elle. Elle est intelligente, elle est bien documentée, elle dit ce qu’elle pense, elle essaie de faire changer les choses et… forcément elle dérange. Surtout ceux qui pensent que c’était mieux avant, qu’il ne faut surtout rien chambouler, qu’il faut continuer à vivre à crédit sur notre planète et laisser à nos enfants ou petits-enfants une planète dans un sale état.
Vous dites que c’était mieux avant. Mais quand? Lorsqu’on pouvait polluer sans culpabiliser? Lorsqu’on ne savait pas encore que la forêt amazonienne et la calotte polaire disparaissent en cœur? Lorsque les femmes n’avaient pas le droit de vote? Lorsqu’il n’y avait pas autant d’étrangers?
Mais moi, je n’ai pas envie que mes enfants ou mes petits-enfants pensent aussi que c’était mieux «avant», car leur «avant» ce sera aujourd’hui. J’aimerais que demain et dans 50 ans, la planète soit au moins aussi agréable à vivre qu’aujourd’hui – et pour cela, il faut arrêter de faire l’autruche et accepter de se remettre en question.
Nicolas Guignard