Loi sur la chasse LChP / Modification soumise au vote.
Scrutin du 27 septembre 2020.
Sous le grotesque d’un déguisement juridique cousu de fil blanc, subsiste l’ancestrale, l’irrationnelle, l’indéracinable peur du loup. Car c’est faire au loup un procès en sorcellerie que d’exciper de la «régulation des espèces protégées» pour préconiser une loi autorisant des «tirs préventifs» sur des individus appartenant à une espèce protégée. Il est affligeant de voir le loup accusé de porter atteinte aux «biotopes et à la diversité des espèces», ou bien encore, de menacer l’existence de «populations sauvages adaptées au niveau régional» (Art. 7a), quand l’expérience a montré le rôle-clé du loup dans l’équilibre de l’écosystème qui lui est naturel.
Certes, il serait erroné de transposer aux espaces naturels suisses, relativement exigus, l’expérience réussie au sein de l’immense parc national du Yellowstone, ainsi que l’indique Mark
Boyce, professeur attaché au «Department of Biological Sciences and Alberta Conservation Association Chair in Fisheries and Wildlife»1. Le rétablissement du loup dans des espaces dominés par l’homme n’aura pas pour résultat la même dynamique, car le rôle bénéfique du grand prédateur se trouvera noyé dans les effets de l’agriculture, de l’élevage et de la chasse.
Mutatis mutandis, il convient néanmoins de prendre en considération les gains obtenus dans le parc national du Yellowstone. En l’absence du loup, une cascade d’événements -dite «cascade trophique»- y avait précipité la dégradation du biotope. Les cervidés y avaient proliféré exagérément, entraînant, par broutement excessif, le dépérissement de la végétation, et partant, l’anéantissement des ressources nécessaires au maintien de certaines espèces d’oiseaux et de petits herbivores.
Dans une étude conduite par une équipe d’universitaires européens et sud-africains2, il est fait état de quatre scénarios visant à explorer les possibilités de cohabitation entre le loup et l’homme. On ne retiendra ici que le premier d’entre eux, à telle enseigne qu’il jette une lumière cruelle sur les conséquences calamiteuses qu’entraînerait la modification de la loi sur la chasse: ces fameux «tirs préventifs» sur des loups qui empiéteraient sur des territoires occupés par l’homme.
Le corollaire le plus manifeste en serait la destruction du rôle fonctionnel que joue le loup dans le fragile équilibre des écosystèmes. A commencer par le dérèglement de la hiérarchie sociale au sein de la meute. L’élimination des individus supposés «les plus dangereux, c’est-à-dire, en fait, les plus expérimentés, voilà qui pourrait conduire la meute désemparée à s’attaquer préférentiellement aux proies les plus faciles à atteindre, – comme les animaux d’élevage.
S’ensuivraient la prolifération et la dégénérescence des populations de chevreuils, de cerfs et de sangliers, sur lesquelles ne s’exercerait plus la sélection naturelle opérée par les loups; le risque de zoonoses3 inédites augmenterait d’autant.
Enfin, l’isolement des populations résiduelles de loups se traduirait par une déperdition progressive de leur patrimoine génétique, dont l’intégrité est pourtant essentielle à l’adéquation de l’espèce à son milieu. Concomitamment, le risque d’hybridation s’accroîtrait pernicieusement entre loups sauvages et chiens domestiques. – La peur ancestrale du loup se compliquerait alors d’une suspicion populaire phobique, étendue à toute apparence de canidé…
Pour l’heure, c’est le modus operandi d’éleveurs italiens qui doit retenir notre attention, singulièrement dans la province piémontaise de Cuneo. A la tête d’un troupeau de près de quatre cents brebis de la race «roaschina» (spécifique des vallées du Pesio et de l’Ellero), Maurizio Mauro explique comment il se prémunit contre les attaques du loup. Demeurant, jour et nuit, à proximité de son troupeau, assisté de quatre chiens bergers (Maremme et des Abruzzes4), Maurizio Mauro applique de surcroît les recommandations d’Arianna Menzano, vétérinaire en charge du projet européen «Life Wolf Alps» pour la région du Piémont, à savoir l’installation de filets électrifiés, hauts de 1,5 m délimitant un vaste enclos de forme circulaire; – a contrario, en effet, suscitée par l’apparition de la meute de loups, la panique du troupeau eût abouti à l’amoncellement de bêtes dans les angles d’un enclos polygonal, à la rupture de celui-ci et au carnage subséquent. En cinq ans, Maurizio Mauro n’a eu à déplorer nulle attaque, alors qu’il croise le loup, un jour sur deux.5
A cet égard, il faut insister sur la communauté étroite et solide susceptible de se former entre les chiens de protection et le troupeau, pour peu que, dès leur naissance, les chiots évoluent au sein du troupeau qu’ils ont vocation à protéger, de sorte à s’imprégner de l’odeur des bêtes, à les côtoyer, à pressentir leur comportement grégaire.
Il en résultera une empreinte définitive, une sorte d’appropriation, garantes, pour une bonne part, de la sécurité du troupeau.
Si nous voulons éviter de crever dans un environnement devenu lugubre et irréversiblement corrompu, il nous incombe, entre autres tâches, celle d’explorer sérieusement les possibilités de cohabitation du loup et de l’homme.
– Ce serait faire montre de plus de lucidité que de «flinguer d’abord pour voir ensuite».
1 Cf. Mark S. Boyce, «Wolves for Yellowstone: dynamics in time and space» / «Journal of Mammalogy» / Volume 99, Issue 5 / 10 October 2018 / pp. 1021–1031
https://doi.org/10.1093/jmammal/gyy115
2 D.P.J. Kuijper, M. Churski, A. Trouwborst, , M. Heurich, C. Smit, G.I.H. Kerley J.P.G.M. Cromsigt,
«Keep the wolf from the door: How to conserve wolves in Europe’s human-dominated landscapes?» / in «Biological Conservation» / Volume 235, July 2019 / pp. 102-111
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320718316100?via%3Dihub
3 Une zoonose est une maladie infectieuse ou parasitaire, transmissible d’un animal à l’homme, par la voie de virus, de bactéries, de parasites ou de prions.
4 L’origine de la race du berger de Maremme et des Abruzzes remonte à plus de deux millénaires. Il est probable que cette race soit le produit de croisements avec les dogues originaires d’Asie, qu’apportaient avec eux les guerriers Mongols, à l’occasion de leurs invasions.
5 «Cohabiter avec le loup: le mode d’emploi d’un éleveur italien» / 20 janvier 2016
Cohabiter avec le loup : le mode d’emploi d’un éleveur italien
François Mastrangelo
Bonjour,
Magnifique texte, et la cause est JUSTE.
Salutations.
Dejan
Ce qui est magnifique, c’est la fidélité en amitié!