Figure bien connue du Chenit, «régnant» sur la déchetterie intercommunale, Franco Chiofalo fait partie de ses jubilaires, quarante ans de service au compteur. Ses engagements syndicaux et quelques avis bien tranchés complètent ce nouveau portrait.
Retour au 1er mai 1980, date à laquelle un jeune Sicilien de la vallée du Belice, sur la Côte Ouest de l’île, débarque à la Vallée de Joux. Lui qui a toujours voulu être gendarme a reçu quelques jours plus tôt sa convocation à l’armée. Incorporé comme soldat ordinaire, malgré une candidature très motivée pour la police militaire, à laquelle il a toutefois manqué un «appui». Un peu vexé, Franco Chiofalo, au bénéfice d’un brevet technique, décide de tenter sa chance comme saisonnier en Suisse.
Ce mot, cette condition revient sans cesse dans son récit. Il en a été marqué pour longtemps. Il faut dire que ce statut partagé par beaucoup de travailleurs venus en nombre après la seconde guerre a rimé, certes avec une amélioration des conditions économiques, mais également avec: précarité, exclusion sociale, confiscation du passeport, retour au pays obligé trois mois chaque année et une fameuse visite sanitaire, torse nu à la frontière.
La neige a tout changé
Quand le jeune Franco arrive en la Haute Combe, à l’invitation de Siciliens déjà sur place (mais tous repartis par la suite), le sol est recouvert de neige. Les saisons de l’époque… Il n’y a donc pas encore assez de travail dans le ravalement de façade, comme on lui a promis, aussi le peintre Alessandro Musitelli s’arrange avec ses amis municipaux de l’époque, André Baudat et Félix Morand, pour faire embaucher le nouvel arrivé.
Franco Chiofalo se souvient de son premier chantier: au Bas du Chenit, creuser pour poser un collecteur d’eau reliant la Gentiane au réservoir du Brassus. Tout à la pioche. Il se souvient aussi d’avoir dû acheter des ustensiles de cuisine, qu’on trouve aujourd’hui au rebut de la déchetterie. Retourné en Sicile à Noël, après neuf mois, son contrat a été renouvelé dès l’année suivante – le dernier de ce type dans la commune. Cela fait quarante ans.
«La Vallée m’a toujours plu, parce que dans mon village natal, à quinze kilomètres de la mer, il n’y a que des vignes et des oliviers. Petit, j’ai toujours rêvé des Alpes et de la neige, qu’on voyait dans les films ou à la télévision. Je suis simplement tombé amoureux de ce paysage.»
Intégration
Amoureux, Franco Chiofalo l’est aussi tombé quelques années plus tard, en 1989, d’une Portugaise de Viseu, dans la région Centre, rencontrée à la Gloriette. Il s’y arrêtait pour prendre un café sur les chemins des répétitions du Clédar qui avaient lieu au Solliat. Olga y était serveuse, de culture latine catholique comme lui, partageant les mêmes valeurs et les mêmes intérêts dont ceux de la famille. Deux filles sont nées de leur union.
Retrouver ici un portrait d’Olga Venâncio Chiofalo, rédigé par une lectrice et paru dans nos colonnes il y a trois mois.
Celles-ci n’ont pas entendu le dialecte sicilien ni même l’italien à la maison. Les parents leur ont parlé français. Franco lui-même l’a appris sur le tas. «Ce sont les copains italiens qui me sortaient, me corrigeaient mes fautes. J’ai aussi fait quelques cours, mais surtout, je me suis donné de la peine pour acquérir la langue d’accueil et pour m’intégrer – ce que tout le monde devrait faire.»
Franco Chiofalo a voulu s’intégrer complètement. La naturalisation est survenue en 2005. Avec Olga, il est depuis ce jour citoyen du Chenit, «fier de l’être». Aujourd’hui, on lui dit: «Franco, t’es pire qu’un Combier!»
L’accident
En 2004, Franco Chiofalo s’exerce au ski sur les pentes du Brassus. Une dernière descente avec la fondue et malheureusement, c’est la chute. De l’hôpital de Saint-Loup, on doit le transférer au CHUV. Ses fractures sont si graves qu’il doit subir une greffe osseuse. Après des années à conduire la balayeuse, la saleuse ou la lame, c’est là qu’on lui propose un poste moins astreignant: à la déchetterie. En quarante ans, il aura connu trois chefs de la voirie ou des travaux communaux, quatre municipaux et cinq syndics.
Pour lui, il est important qu’on n’oublie pas la pénibilité du travail des saisonniers. «Au début, on posait des kilomètres de trottoir goudronné à la main. Aucun Suisse ne voulait faire ça. Et puis, ils ont repoussé l’âge de notre retraite à 58, 62, 64 maintenant 65 ans, tout cela, avec des perspectives financières pas simples, en terme de niveau de vie à venir, face à des frontaliers qui s’en sortent autrement mieux. De nourrir de telles craintes après plus de quarante ans de loyaux services, ce n’est pas juste. Faudra-t-il déménager en France voisine?».
Syndicaliste
Il est comme ça, Franco Chiofalo. Il n’a pas sa langue dans sa poche et n’hésite pas à monter au créneau. La fibre syndicaliste, il l’a toujours eue. Il se souvient de son adolescence au contact d’enseignants qui incitaient leurs élèves à aller manifester pour les droits des femmes et des ouvriers. Plus tard, il s’est engagé dans la fédération des ouvriers du bâtiment et du bois (FOBB), devenue par la suite Syndicat industrie et bâtiment (SIB). Il a longtemps représenté le secteur du gros-œuvre à La Vallée, descendant chaque mois pour des séances en plaine. Et il fait toujours partie du comité Unia de la Vallée de Joux.
«Rendre service, j’ai ça dans le sang. Je suis toujours prêt à le faire.» Franco Chiofalo n’exclut pas d’intégrer à nouveau un conseil de ville ou de village à sa retraite. «On s’est fait Suisses avec ma femme, c’est pour avoir le droit de s’exprimer politiquement. Les affaires publiques, cela se fait dans les urnes et les parlements, pas autour d’un verre au bistrot!»
Pour l’heure, l’ancien saisonnier se réjouit que ses deux filles aient réussi, l’aînée après des hautes études, comme psychologue auprès d’enfants autistes et la cadette à l’Espace Horloger.
Nom: Chiofalo
Prénom: Franco
Votre coin préféré à La Vallée: L’ancien Centre espagnol.
Avez-vous quelques projets de retraite ? Me reposer.
Un avis sur la fusion des communes ? Cela permettrait de tirer un trait sur les bisbilles entre villages et communes.
Je te souhaite une excellente et longue retraite.