C’est bien connu les extrêmes ne sont jamais bons, dans les religions, en politique, c’est également valable pour l’agriculture. Si les grosses exploitations et toutes leurs dérives ne sont pas souhaitables, la tendance inverse ne l’est pas non plus. Le 13 juin prochain le peuple suisse sera appelé à se prononcer sur deux initiatives d’une importance capitale pour notre agriculture.
Tout d’abord l’initiative dite «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». L’idée est parfaitement louable, personne ne souhaite avoir de pesticides dans son assiette. L’agriculture suisse a déjà réduit de 40% l’utilisation des «phytos» durant les 10 dernières années. Nos agriculteurs n’ont pas attendu cette initiative pour évoluer et la nouvelle politique agricole (PA22+) prévoit déjà des restrictions supplémentaires sur l’utilisation de ces produits. Mais il faut faire attention, vouloir aller trop vite ferait disparaître certaines cultures du paysage helvétique à très courte échéance. Prenons un exemple, la betterave sucrière, un ha de betterave produit env. 15t de sucre et en sus, est un formidable puits de carbone. En cas d’acceptation de l’initiative cette culture sera très vite abandonnée car pour le moment il n’existe pas d’alternative. Les Suisses ne vont pas pour autant consommer moins de sucre, la plupart du temps il sera remplacé par du sucre de canne en provenance d’Amérique du sud. En termes de rendement un ha de betteraves équivaut à 2 ha de canne à sucre. Donc en acceptant l’initiative on va donner un formidable coup de balai devant notre porte et on va surtout reporter le problème dans des régions qui sont déjà bien impactées écologiquement parlant. Sans parler du bilan carbone de l’opération plus que discutable et sans parler de la qualité du produit importé qui sera difficilement contrôlable.
L’initiative dite «Pour une eau potable propre et une alimentation saine» est quant à elle beaucoup plus sournoise, en effet qui ne veut pas d’une eau propre? Nous autres agriculteurs somment les premiers à vouloir d’une eau propre, pourtant il nous faudra rejeter cette initiative qui sous un nom angélique voire populiste cache des dérives inacceptables, exemples: Outre une interdiction totale pour l’utilisation des «phytos» (y compris les biocides utilisés actuellement en agriculture bio), l’initiative obligerait les agriculteurs à nourrir leurs animaux uniquement avec les fourrages de leur propre exploitation. A la Vallée de Joux on produit uniquement de l’herbe (foin). De nos jours une ration alimentaire à base d’herbe uniquement ne suffit pas à couvrir les besoins d’une vache laitière. Sous-alimenter des animaux équivaut à de la maltraitance (animaux fragiles, amaigrissement, maladies). A La Vallée les hivers durent plus de 6 mois, le climat est rude et il faut tenir compte du changement climatique et des dégâts de la faune en constante augmentation (sécheresses à répétition, sangliers, loups). Ajouter encore une telle mesure à toutes ces contraintes équivaudrait à sacrifier et discriminer l’agriculture dans toutes les régions de montagne suisse. Ainsi si elle est acceptée, on assistera progressivement à une diminution significative de la production laitière à La Vallée, certains abandonneront la vache laitière pour s’orienter plutôt vers la vache allaitante qui est beaucoup moins exigeante, d’autres continueront à traire du lait en mode extensif quelques mois par année, des fromageries fermeront leurs portes et les emplois qui vont avec seront définitivement perdus. Une catastrophe pour toute l’économie fromagère et agricole de la région! Le comble avec cette initiative idiote c’est qu’un agriculteur de La Vallée ne pourrait même pas détenir de poules ni de cochons étant donné que ces animaux ne digèrent pas l’herbe!
De plus l’initiative ne résout pas pour autant le problème de l’eau car les exploitations qui touchent peu de paiements directs (porcheries, poulaillers) sortiraient du système et intensifieraient leurs productions pour combler les manques à gagner. Un véritable autogoal!
L’autre volet important de ces votations est le signe que le peuple va donner à notre agriculture. En cas d’un oui dans les urnes je crains fort que nos jeunes qui sont appelés à reprendre le flambeau dans quelques années et constatant le peu d’avenir dans ce métier, se tournent vers d’autres professions plus valorisantes. On aurait alors tout une série d’exploitations en fin de vie et d’ici une dizaine d’années, une fois les patrons arrivés à la retraite, plus grand monde dans nos campagnes.
L’agriculture a besoin d’un signal fort de la part du peuple, elle n’a pas besoin d’être assommée par des initiatives extrêmes. L’agriculture aura besoin de bras ces prochaines années pour relever les nombreux défis qui l’attendent afin de pouvoir continuer à remplir le rôle qui lui est dévolu; nourrir la population.
Vous le saviez?
En agriculture Bio on traite aussi les cultures (cuivre-souffre).
Plus de 90% des agriculteurs suisses (à La Vallée 100%) pratiquent les PER (productions écologiques requises, normes qui sont souvent supérieures aux normes des produits BIO étrangers).
La Suisse est quasiment le seul pays au monde à pratiquer le «BIO intégral». A savoir, les producteurs BIO sont obligés de mettre l’ensemble de leurs branches de productions (bétail, cultures, vignes, légumes, etc.) en BIO. Dans les autres pays on pratique le BIO par branche de production, c’est beaucoup moins exigeant et plus propice à la fraude.
Pour la reconnaissance des produits BIO importés avec les accords de libre-échange, l’Union Européenne et donc la Suisse pratiquent ce qu’on appelle «le principe d’équivalence», c’est à dire qu’il suffit qu’un produit soit labellisé BIO à l’autre bout du monde pour qu’on le reconnaisse comme tel sans autre forme de contrôle et vice-versa.
Une des plus grosses fermes laitières au monde se trouve en Arabie Saoudite (Almarai dairy farm) avec 94’000 bovins (Pour comparaison, en Suisse en 2020: 556’000 têtes, toutes races confondues). Verrons-nous un jour des yogourts Made in Saoudi Arabia dans nos magasins?
Est-il normal qu’un produit certifié BIO importé depuis un autre continent puisse encore bénéficier du label BIO arrivé en Suisse?
Depuis 20 ans le trafic automobile a doublé, le ciel grouille d’avions (c’est un peu plus calme depuis une année, mais ça va repartir de plus belle dès cet été!), il y a des antennes 4G, 5G, dans tous les coins, le climat se réchauffe à vitesse grand V,
nos forêts agonisent, etc… etc…, je pense que ce n’est pas le moment de faire «porter le chapeau» à notre agriculture pour se donner «bonne conscience», il serait préférable que chacun(e) prenne ses responsabilités et se remette en question sur son mode de vie et de consommation.
Pour toutes ces raisons je vous invite à voter 2 X NON le 13 juin prochain.
Lionel Berney,
agriculteur Le Brassus