Même si je suis régulièrement l’actualité libanaise, ma première impression fut celle d’un pays qui s’en va vers l’enfer. Rien ne fonctionne. Politiquement tout d’abord avec le Premier ministre Saad Hariri incapable de former un gouvernement en raison de dissensions avec le Président Michel Aoun. Economiquement ensuite: alors que la livre libanaise s’échangeait encore début octobre 2019 au cours de 1500 pour un dollar, elle s’est effondrée au marché noir à 15’000, ce qui a généré une hausse des prix fulgurante. La COVID est aussi passée par là dans un pays financièrement incapable de soutenir son économie. Les licenciements furent brutaux et massifs.
La vie au quotidien
A combien s’échange le dollar aujourd’hui? C’est la question que se posent les Libanais chaque matin. Faut-il changer ses dollars tout de suite ou attendre que cette devise prenne encore l’ascenseur? Le citoyen fut victime à fin 2019 d’un hold-up financier organisé par les plus hautes sphères qui, pour nombre d’entre elles, avaient réussi à transférer leurs avoirs sous des cieux plus cléments. Vous êtes salarié: vous êtes payé en monnaie de singe qui ne correspond nullement à l’échelle des prix à la consommation; vous êtes épargnant et disposez d’un compte libellé en dollars: vous ne pourrez retirer que 200-300 dollars par mois à un taux nettement inférieur à celui du marché noir, le véritable étalon du coût de la vie. Des médicaments essentiels? Disparus des pharmacies. Les magasins n’affichent plus les prix. Les automobilistes vagissent comme des gorets dans la canicule pour obtenir quelques litres d’essence. Ce sont des chanceux car bien des stations sont fermées. Rentrés chez eux, ils feront face aux coupures d’électricité, la Compagnie nationale délivrant le courant deux heures par jour. Alors tout le Liban résonne au bruit des générateurs qu’opèrent des compagnies privées à des coûts élevés. Et les petits réfugiés syriens font les poubelles.
Pénuries et contrebande
La Banque centrale disposait de 16.5 milliards de dollars à fin mai dont 15 milliards de réserves obligatoires des banques commerciales légalement intouchables. Afin d’éviter des émeutes de la faim, le gouvernement subventionne quelques biens essentiels comme la farine, l’huile, la benzine et quelques médicaments. Ce système a pour particularité d’être doublement injuste. Riches et pauvres en bénéficient de manière égale alors qu’il faudrait cibler les aides vers les plus démunis comme le préconisent les instances internationales. De surcroît, ce système fait l’objet de vastes détournements vers la Syrie, ruinée après 10 ans de conflits. Le Hezbollah, pion de l’Iran et allié du régime de Damas derrière lequel s’est rangée une partie du camp chrétien en est l’organisateur. Le Hezbollah est puissant: il joue le jeu démocratique et tout gouvernement libanais doit lui laisser une place de choix dans l’attribution des portefeuilles; il dispose ensuite d’une puissante milice. Il arrive parfois qu’un officiel, index levé et yeux courroucés, annonce l’arrestation de quelques contrebandiers en motocyclettes. Théâtrale déclaration alors que l’on recenserait une centaine de points de passage de tailles L à XXL. Oh, rassurons-nous, tout le Liban ne souffre pas! Une dame de la très bonne société m’a dit avoir dû se séparer de l’une de ses deux bonnes des Philippines. Dommage, je n’avais pas de mouchoir pour la consoler.
Résilience
Que n’avait-on pas dit à propos de la résilience du peuple libanais qui avait enduré 15 ans de conflits, qui vit arriver sur son sol tantôt les Syriens, tantôt les Israéliens ainsi que les milices iraniennes. Accueillants ces Libanais qui furent obligés d’accueillir les Palestiniens chassés de Haute-Galilée en 1948 puis dès 2011,
1,5 million de réfugiés syriens? Non, ils ne sont plus résilients car aucune perspective d’amélioration n’est perceptible. Toutes les personnes rencontrées ne songent qu’à émigrer. Un seul chiffre: 1000 médecins sont partis.
Jean-Yves Grognuz