Madame, pour donner suite à votre plaidoyer sur le loup du jeudi 20 août, je ne peux laisser passer sans réagir. Je n’entrerais pas dans le débat du loup, ni sur celui de mes habitudes culinaires, car comme vous le dites si bien en préambule, nous ne serons jamais d’accord. En revanche, que vous mettiez ces responsabilités sur le dos des agricultrices et agriculteurs de ce pays m’attriste au plus haut point. Quelle piètre image de ces éleveurs, maraîchers ou viticulteurs qui sont souvent les trois à la fois et dont la vocation est de nourrir la population en palliant une éventuelle pénurie de ressources et de matières premières vitales, vous nous dépeignez dans votre exposé. Il n’est jamais facile pour un éleveur que ce soit de bêtes d’engraissement ou d’élevage de se séparer d’un animal et ces derniers doivent faire preuve d’abnégation pour remplir leur mission, car il s’agit là bien d’une mission. Vous vous offrez le luxe de les décrier en ignorant l’histoire. Je vous invite à vous renseigner sur ce que fut la grande famine de 1816-1817, ou plus proche de nous, la nécessité de mettre en place le plan Wahlen dès 1940, ou encore plus proche avec le début du Covid, il y a 18 mois où une fois encore la population s’est tournée vers l’agriculture pour subvenir à ses besoins lorsque les étals des grands distributeurs se sont vidées en un clin d’œil. Ces mêmes paysans qu’on cloue au pilori depuis ces dernières semaines et qu’on accuse de tous les maux en rejetant sur eux nos propres responsabilités.
Permettez-moi donc de vous faire un rapide topo de ce monde que vous semblez ignorer. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous avons demandé à ces mêmes paysans de produire pour ne plus connaître la famine, ce qu’ils ont fait instantanément. La production a explosé, mais cette dernière a eu un revers, la surproduction qui a entraîné la chute des prix et bon nombre d’exploitations, trop petites ou mal préparées, ont disparu. Pour tenter de rééquilibrer la donne, depuis les années nonante, la Confédération y va à grands coups de subventions, qui se sont transformées plus tard en paiements directs (des dédommagements liés aux prestations écologiques). Ils ont eu beaucoup de mal à accepter le fait d’être payé pour ne pas produire plus. Puis depuis quelques années s’est mise en place l’agriculture intégrée avec l’interdiction d’utiliser des pesticides ou des antibiotiques, limitation des engrais, obligation de lâcher le bétail à l’année, des écuries ouvertes et une quantité invraisemblable d’interdiction. Tant et si bien que ces 70 dernières années ont vu pour eux une quantité de réformes et de réorientations qui en aurait découragé plus d’un. Malgré cela, ils poursuivent leur travail. Aussi, je vous saurais gré de ne pas leur ajouter le poids du loup qu’ils n’ont pas demandé. Personnellement, je ne vis pas de la terre, mais j’y ai mes racines. Je vous remercie pour eux.
Christophe Bifrare, Le Pont