Les jours passent et je ne peux me défaire de ma tristesse et de mon sentiment d’injustice. La manière dont sont décrits les agriculteurs me désole.
Chacun a bien sûr le droit d’exprimer ses opinions, je dirais même qu’il est légitime d’avoir des avis divergents, influencés par de nombreux paramètres, tels que valeurs, éducation, métier, intérêts, ressenti, etc… Ce qui motive ma réponse, ce n’est pas tant la défense du loup que le jugement porté envers les éleveurs de bétail.
En effet c’est pour moi un jugement gratuit d’affirmer que la perte d’un veau n’a rien de sentimental, que les agriculteurs font preuve d’hypocrisie en déguisant la vérité, et qu’il ne s’agit que d’une question d’argent.
Issue d’une famille paysanne, je connais bien le rapport d’un paysan avec son bétail. Le veau, la vache ne sont pas des êtres anonymes. Lorsque le veau naît, on lui attribue non seulement un numéro d’identité, mais également un nom, celui que le paysan lui choisit. Dans nos contrées, ce dernier connaît individuellement chaque bête tout au long de sa croissance dans l’écurie et les pâturages. Il connaît sa lignée, son caractère et sa place dans la hiérarchie du troupeau. Il n’est pas rare qu’il lui parle, qu’il la caresse. La vache de son côté reconnaît celui qui la nourrit, la trait, l’emmène aux pâturages, etc… tout cela peut paraître un brin romantique à certains, mais pour moi qui l’ai vécu au quotidien, c’est la manière dont je ressens les choses.
Bien sûr il est vrai qu’un jour ou l’autre la vache finit à l’abattoir. Telle est sa destinée, car c’est évidemment le gagne-pain de l’éleveur. Mais il faut savoir que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il l’emmène à sa fin. C’est toujours avec émotion qu’il lui dit adieu. Je sais que certains la remercient pour ce qu’elle leur a donné, et je ne serais pas étonnée qu’intérieurement il lui demande pardon…
mais c’est si intime que ça ne se dit pas !
Alors non, la génisse ne se limite pas à un simple chèque. Il faut se représenter le paysan retrouvant un matin sur l’alpage sa Marguerite, Lucette ou Ragusa, que le loup a déchiquetée, dévorée jusqu’à ce que mort s’en suive. Il ne peut qu’imaginer les atroces souffrances qu’elle a dû subir avant de rendre son dernier souffle. Pas de doute, cela prend aux tripes n’importe qui, surtout l’éleveur qui doit encore lui ôter sa cloche, en ramasser les morceaux et les emmener à l’équarrissage.
Pour conclure, il est évident que la présence du loup provoque de vives réactions dans de nombreux milieux aux intérêts inévitablement divergents. Souhaitons toutefois que les tensions s’apaisent, et ainsi le petit chaperon rouge pourra continuer à arpenter les bois en toute insouciance.
Corinne Meylan