
Il ne répondra plus à aucune de nos lettres ni de nos mails, tandis qu’il nous fut présent sous cette forme depuis l’an 1996, où Jean-Luc Aubert visita l’exposition historique du 600e de la commune du Lieu. C’est à cette occasion qu’il tomba dans ce piège dont il ne ressortit plus, celui d’une passion toute neuve et absolue pour l’histoire combière. Et cela alors même qu’il n’avait passé que bien peu souvent dans cette Vallée dont il était originaire, et qu’il résidait dans la ville du bout du Léman qui lui avait offert son accent. Sa situation était donc très originale, voire même unique.
Il devint un ami, un double même, puisque autant passionné l’un que l’autre, on cogitait dans des vieux bouquins, dans des articles, dans des documents de tous ordres, qui tous concernaient cette Vallée de Joux dont le passé était devenu pour nous deux une vraie religion.
Jean-Luc Aubert nous a quittés le 19 août dernier. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’apprends son départ pour d’autres cieux. Cette disparition me touche profondément. Elle m’est un vide. Elle le sera pour l’entier de la Vallée de Joux. Car cet ami, non seulement se passionnait pour cette région que sa famille avait laissée derrière elle on ne sait trop à quelle époque, mais aussi lui rendait hommage par une production impressionnante, en rapport certes avec l’histoire, mais plus encore avec la généalogie des familles natives. A cet égard nombreux sont ceux qui ont profité de ses connaissances exceptionnelles en ce domaine.
Quel homme. Bibliothécaire, il semble qu’il était prédisposé à établir la seule bibliographie de la Vallée de Joux vraiment complète. Une telle qui a vite compris des milliers d’entrées. Des productions diverses entièrement disséquées. Par genre, par auteur, par titre. Une œuvre de bientôt vingt-cinq ans, un phénoménal outil de travail pour l’historien en même temps que la révélation que notre petit coin de terre, malgré la modestie de sa taille et une histoire plus discrète que percutante, offre sans doute une production historique ou évocatrice parmi les plus riches du pays. Non, ne croyez pas qu’ici l’on exagère. C’est absolument fabuleux de découvrir les titres de ces milliers d’articles de tous genres, extraits de journaux multiples, études universitaires, et épluchage quasi complet de notre bonne vieille FAVJ. Tout cela nous faisant nous poser cette question: mais qu’est-ce qui attira ces cent auteurs à parler autant de notre haute combe? Sa situation unique sans doute, vallée fermée qui a conduit son peuple à se construire d’une manière quelque peu différente des autres. A se contenter longtemps d’eux-mêmes, bien qu’il ne faille jamais négliger la part des échanges dans la constitution d’une société.
Jean-Luc Aubert, de plus, s’était attelé à revisiter l’œuvre du professeur Auguste Piguet dont une partie sommeillait aux archives cantonales sous forme de manuscrits inédits. Il mit en forme les histoires de nos familles combières, Piguet, Meylan et consorts. Il retravailla entièrement le texte de notre prolifique historien sur l’histoire de l’abbaye du Lac-de-Joux. Et depuis quelques années il s’attelait à retranscrire l’œuvre folklorique d’A.P. qui avait paru anciennement aux Editions Le Pèlerin. Mais là, sous une forme nouvelle tandis que l’œuvre ne se présentait précédemment qu’en manière de reprint. Avec l’introduction compliquée, véritable casse-tête, de la transcription phonétique des mots ou expressions patoises. De quoi passer de belles et longues soirées au coin du feu certes, mais derrière une table de travail plutôt que dans un fauteuil!
De ce même auteur, il avait rassemblé et retranscrit la totalité des articles parus à différentes époques, essentiellement dans le Folklore suisse et dans la FAVJ: 520 pages!
Il nous faisait parfois la grâce de mettre sous le nom de nos éditions des retranscriptions aussi parfaites que: Etapes d’une colonisation, ou La commune du Lieu de 1536 à 1646. Ce qui nous obligeait à préciser en fait de référence: Editions le Pèlerin, façon Jean-Luc Aubert de Genève!
Il se passionna aussi pour les écrits de Samuel Aubert, parus dans la Revue du Dimanche, dans la FAVJ ainsi que dans nombre de revues spécialisées, qu’il retranscrivit dans leur totalité. Ici un bon millier de pages sans doute!
Il prit plaisir à remettre à jour les articles de l’ancien ingénieur forestier du Chenit, Albert Pillichody, ce dernier signant la plupart de ses écrits de l’énigmatique A…py. Une matière importante pour la connaissance de nos forêts.
Il tenait à jour sur son site: Les pages de Jean-Luc Aubert – cliquez cela sur Google – un catalogue des nouvelles parutions de livres sur la Vallée de Joux.
Il avait recensé l’essentiel des auteurs combiers sur le même site.
Et l’on en oublie!
Bref, l’œuvre de Jean-Luc Aubert, en vingt-cinq ans, fut immense. Avec cependant cet aspect qui concerne désormais notre société tout entière, des recherches et des transcriptions informatisées plutôt qu’imprimées et diffusées sous cette forme d’une manière suffisamment large pour que tout un chacun puisse en disposer.
Que voilà donc un travail gigantesque mais dont la mise à disposition du public reste problématique. C’est là un regret. Situation que par ailleurs nous avions évoquée entre nous ces dernières années. On bosse, on produit, on accumule, études, photos, documents. On y prend plaisir, c’est un fait. Mais que deviendra plus tard cette matière? Qui en profitera? Devrait-elle disparaître dans l’anonymat à notre inévitable décès?
On se souvient non sans émotion d’une conférence qu’il donna il y a quelques années à la médiathèque de Chez-le-Maître sur l’origine des familles de la Vallée de Joux. Il avait exposé un certain nombre de panneaux où il croyait que tout était dit, puisque son discours, que chacun attendait avec impatience, tenait en quelques mots seulement. Le public ressortit de la salle déçu, frustré. C’est que l’homme était si discret, si peu à l’aise en public, qu’il n’avait su offrir que cela. Et alors même que sa connaissance du sujet lui aurait permis de tenir en haleine son auditoire bien au-delà du modeste exposé qu’il nous avait fait. Il était ainsi, doutant que cette matière historique puisse vraiment encore intéresser notre population locale.
Jean-Luc Aubert n’est plus. Il laisse derrière lui une œuvre volumineuse et de qualité qui, nous l’espérons, pourra dans un futur proche être mise à disposition du public qui en comprendra toute l’extraordinaire valeur.
Salut Jean-Luc. Nous reverrons-nous un jour là-bas, où les historiens modestes que nous sommes pourront encore se passionner pour quelque texte du Juge Nicole, de Lucien Reymond, de Samuel Aubert, de Louis Audemars, d’Auguste Piguet, de David des Ordons, de Daniel Aubert? Je le crois et je l’espère.
R. Rochat