Les gens tout d’abord. J’ai rarement rencontré un peuple aussi aimable et éduqué. Vous cherchez votre chemin ? On prend le temps de vous renseigner avec pour conclure une amicale tape sur l’épaule. Une grand-maman m’a même gratifié d’un « Dieu vous bénisse » à un arrêt de bus.
Rentrée scolaire
C’est la préoccupation du moment de Pamela qui tient un petit hôtel près de l’Université. Pas la Covid, pas le changement de classe de son fiston mais l’achat du « uniform » composé d’un short, d’un pantalon, de chemises et veste aux couleurs de son école. Elle me fait un matin la surprise de me présenter son fils tout fier de son nouveau costume.
Botanic avenue
Si l’on veut voir à quoi ressemble le « melting pot à l’anglaise », c’est ici qu’il faut aller. Le Kabyle d’Algérie chauffeur de taxi vient y prendre son café, des Turcs arrangent leurs fruits devant leur épicerie, deux jeunes Chinoises s’en vont à pas menus rejoindre le restaurant familial, dépassées par un Kenyan marchant à grandes enjambées comme s’il était encore sur ses hauts plateaux. Plus loin un groupe d’Erythréens parlent bas ; se méfient-ils encore des oreilles du pouvoir dictatorial de leur pays d’origine ? Ils finiront par me dire qu’ils viennent d’Asmara, ville où je m’étais rendu pendant la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Les langues se délient, ils parlent de leurs familles restées au pays. Tout près se trouve l’Université, belles successions de bâtisses avec derrière un grand parc. J’y rencontrerai un couple de Bombay, tous deux ingénieurs, qui terminent leurs études. Eux à coup sûr repartiront en Inde, d’énormes opportunités s’offrent à eux. Ils croient en leur pays : dans 30 ans, nous aurons dépassé la Chine me disent-ils avec fierté !
Le Frère musulman
Un Marocain engage la conversation à une terrasse. Il se réjouit de la prise de pouvoir de Kaboul par les talibans. C’est assurément un sympathisant des Frères musulmans dont la doctrine fut édictée par Hassan el-Banna dans les années vingt en Egypte. Leur confrérie est soutenue par le Qatar et la Turquie qui en font un axe de leur politique internationale. Ce n’est pas la première fois que j’en rencontre. Ses yeux brillent de fanatisme: inutile d’argumenter, je le laisse causer. Alors qu’il semble vivre confortablement en Irlande du Nord, il déteste les valeurs occidentales, la démocratie, le libéralisme, les droits de l’homme. Le discours est à la fois politique et religieux : seule l’extension de l’Islam partout dans le monde avec la charia comme ordre juridique est à même d’apporter la justice sur terre. Quant à l’ordre international, ce sont les Juifs, alliés des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite, qui sont les ennemis des peuples musulmans qu’il faut combattre. Ce discours n’est pas le fruit d’un illuminé isolé. Il trouve un large écho dans certaines mosquées d’Occident ou du monde arabo-musulman ou encore via les réseaux sociaux. « Regardez me dit-il en désignant deux femmes : elles circulent sans couvrir leurs têtes, elles sont nues ! »
BBC – LCI et prise de Kaboul par les talibans
Le choc a été violent pour les Anglais. En choisissant le Brexit ils pensaient que leurs liens privilégiés avec Washington allaient encore se renforcer. Ce fut une totale déconvenue. La prise rapide de Kaboul, la pagaille à l’aéroport en mode chacun pour soi pour les évacuations, l’absence d’anticipation par manque de renseignement ont occasionné de vives réactions au sein de la population. Lors d’une émission de la BBC, la prestation d’un Ministre fut déplorable. Incisifs sans être impolis, ne coupant pas la parole, les journalistes firent preuve de professionnalisme : les faits, rien que les faits. Tout autre fut la prestation de Bernard-Henri Lévy sur la chaîne française LCI. BHL, écrivain et philosophe, est un bon client des médias. Il incarne la bonne conscience de l’Occident et parle aux puissants. Peu importent les gouvernements, il avait ses entrées chez Sarkozy et Hollande. Ses marques de fabrique ? L’indignation et l’agitation médiatique. Il fut de tous les conflits : Bosnie-Herzégovine, Libye, Nord de la Syrie, partout où il se devait de témoigner. Il dit le Bien, pourfend le Mal alors que les situations qu’il évoque méritent un brin de nuance. Ira-t-il en Afghanistan à la rencontre de groupes qui résisteront un jour ou l’autre au pouvoir taliban ? Il serait tenté, vêtu de son traditionnel costume noir et de sa chemise blanche sortant du pressing avec pour compagnons de voyage son coiffeur et son majordome. L’avenir de la France et de l’Occident tout entier passera-t-il par un soutien aux résistants ? C’est sa thèse alors que les chancelleries occidentales établissent déjà de discrets contacts avec les talibans au Qatar. Avec une élection présidentielle qui démarre avec en prime la crise de la Covid qui fracture la France entre pro et antivaccins, je doute que les citoyens de Brive-la-Gaillarde fassent de l’Afghanistan un objet majeur de préoccupation.
Entre une BBC empreinte d’éthique professionnelle et LCI où le lyrisme supplante l’analyse, c’est bien plus que la largeur de la Manche qui sépare ces deux approches en matière d’information.
Jean-Yves Grognuz,
août 2021