Violée à 12 ans, avec un couteau à cran d’arrêt sous la gorge, par un prof du collège où mon frère de 2 ans mon aîné et moi étions en internat en 1968. Les menaces de l’abuseur: «après, tu n’es qu’une m… je te descends avec ton frère…!»
Je passe sur toutes les traces, les restes, les sentiments, les ressentis… indélébiles. Je passe sur le sentiment d’injustice lorsque le directeur de l’établissement (que j’ai toujours soupçonné de complicité) me traite d’allumeuse et de menteuse devant mes parents et mon frère…
Suite à cette agression, j’en avais perdu la parole, le regard vide, plus rien ne m’intéressait, peur du sexe masculin et perte de confiance envers les humains… donc impossibilité totale de témoigner, de parler! En plus j’ai été adoptée et la panique s’en est mêlée, panique que mes parents me renvoient à la case départ: l’orphelinat! Je n’étais plus capable de raisonner, de réfléchir!!!!
Ma reconstruction a certainement pu se faire grâce au fait que ça s’est su tout de suite, de par mon frère qui a fait preuve d’une grande maturité et responsabilité en m’emmenant voir le directeur le lendemain, samedi, avant que nous rentrions à la maison à midi et qu’il raconte à nos parents les faits.
Grâce aussi à la présence physique et la disponibilité de mes parents.
Ma décompensation psychique en disait long et effaçait tous les doutes de mensonges. L’examen médical (sous anesthésie générale) par la suite, a confirmé l’agression sexuelle.
Et grâce à mon chien qui a entendu des centaines de fois mon histoire, mes peurs, mes angoisses, ma honte, mes doutes, mes questions, mes envies de mourir… et reçu toutes les larmes de mon cœur…
Grâce à ce jour où, en me regardant dans le miroir en larmes, envisageant le pire, cette phrase m’est venue au fond de moi : «la balle est dans ton camp: ou tu baisses les bras ou tu fais face! C’est maintenant qu’il faut choisir! Tu la veux cette vie ou pas?…»
En un mot je résume par: parles-en tout de suite, tu n’es pas responsable de ce qu’il t’arrive!
Ma sexualité, après ce drame, eh bien les relations sont extrêmement difficiles car les paniques au moment du drame, les flashes… réapparaissent chaque fois au grand galop. Si on rencontre un partenaire doux, compréhensif, mature, patient… ça aide bien. Mais voilà les flashes restent, même si atténués.
Comment vivre avec? En ce qui me concerne, un parcours de vie très riche en rencontres et de par ma profession d’infirmière, furent très aidants. Par chance, j’ai su tirer profit de ces rencontres et de certaines situations…
Evidemment en 40 ans de pratique d’infirmière, nous avons eu quelques malades présentant cette «déviance» dans nos services…
Des aides précieuses furent, un médecin et mes 2 pères spirituels avec qui nous avons d’abord effleuré le mot «pardon». Ma réaction a été très vive et sans appel: NON JAMAIS! JAMAIS JE NE POURRAI!… car j’associais pardon et oubli! J’avais peur de ne plus être reconnue comme victime, comme si le pardon effaçait tout ce vécu douloureux que je voulais faire payer à mon agresseur et ce besoin de se sentir victime.
C’est un long et laborieux travail à faire, pas le plus simple d’ailleurs car ça demande de modifier sa pensée. Pardonner ne s’associe absolument pas à oublier! Non loin de là! Je n’ai jamais oublié. Aujourd’hui, à 65 ans tout reste gravé!
Mais j’ai pu vivre le pardon et dire à haute voix avec une très vive émotion pendant une messe (l’abuseur n’était pas là): «je vous pardonne…, mon agresseur, je vous pardonne d’avoir massacrer ma vie lorsque j’avais 12 ans! Je vous demande pardon car je vous hais.»
Il m’a fallu, quand même, une bonne trentaine d’années pour en arriver là!
Le pardon m’a fait passer à autre chose; pas d’oubli, pas de compassion pour ces personnes malades… mais autre chose qu’il m’est difficile d’exprimer avec mes mots. Ce quelque chose au fond de moi qui vient vraiment de Dieu (à mon avis) et qui m’empêche totalement d’y remettre de l’agressivité, de la médisance, de la violence, du jugement, de la peur de l’autre… cela dit je reste tout de même très claire et consciente de ces actes traumatisants et les condamne et ne peux m’empêcher de rester suspicieuse. Chat échaudé craint l’eau froide!!!!
Le pardon de Dieu est plus fort que le mien et est Eternel. Ce pardon est un cadeau qui se transforme en Eucharistie. Je pense que ce pardon peut aider l’agresseur à oser demander de l’aide pour se soigner!!????…
Pour dire ces paroles, bien sûr, il m’a fallu du temps, beaucoup de temps: 53 ans! un long travail sur moi-même, parfois accompagnée d’un professionnel de la santé et ce travail est-il terminé aujourd’hui? sera t-il terminé un jour?
Ce qui m’a aidé aussi c’est la confiance que je n’étais jamais seule;
IL (Dieu) me tenait sans cesse par la main, même durant les années où je ne croyais plus en rien, où je n’avais plus beaucoup d’espoir.
IL était là pendant le viol, IL l’a empêché de me tuer et de tuer mon frère, comme il me l’avait promis! (c’est mon raisonnement)… Mais reste la question: alors pourquoi, pour quoi l’a-t-IL permis?????… aurais-je une fois une réponse?… Y a-t-il une réponse?
IL était là, IL nous a choisis avant que l’on montre le bout de notre nez; malgré tout, aujourd’hui j’en ai la certitude.
N’oublions pas, ce thème se conjugue aussi au masculin!!!!
Puisse ce témoignage aider quelqu’un. Parents c’est à vous d’en parler avec vos enfants le plus tôt possible! et avec l’école, ensuite…
Françoise Gay,
Premier