J’aurais aimé vous donner quelques nouvelles positives de ce petit pays où je me suis maintes fois rendu, si proche de chez nous. Depuis l’an passé, la situation s’est encore dégradée à tel point que l’on ne peut même pas percevoir le signe d’un miracle qui pourrait redresser la situation.
L’économie qui s’écroule
Premier indice brutal. Alors que la monnaie s’échangeait au taux de 1500 pour 1 dollar en été 2019, son cours s’est effondré à 25’000, entraînant une hausse vertigineuse des prix. Tout renchérit, la nourriture, l’électricité, le carburant et les médicaments. A Tripoli, j’ai rencontré un père de famille venu faire son marché en prévision de l’Iftar, le repas du soir des musulmans en période de ramadan. Il n’avait pu s’acheter qu’un poulet pour les huit membres de sa famille. Un seul poulet pour un mois. Dans le quartier de Hamra, autrefois surnommé les Champs-Elysées de Beyrouth, les boutiques et restaurants sont fermés. Pas d’éclairage, plus de feux rouges. Des petits réfugiés syriens font les poubelles pour manger ou récupérer du plastique. Dans de nombreux endroits, les ordures ne sont ramassées qu’épisodiquement. En bref, manger, se déplacer, s’éclairer grâce à des générateurs privés devient un luxe. Et nombre d’enfants ne vont plus à l’école faute de pouvoir payer l’écolage.
La crise financière
La crise s’est déroulée selon une pièce de théâtre en trois actes. Premièrement : le banquier à la mine chafouine fait la danse du ventre devant l’épargnant ou l’investisseur leur promettant, main sur le cœur, la sûreté de leurs avoirs et des taux d’intérêts stratosphériques. Acte II : pour se financer, la banque commerciale prête à la Banque centrale moyennant des taux encore plus élevés. Les flux monétaires se déversent sur les comptes de l’Etat, assoiffé comme un chameau. Dans les Ministères, la prévarication fait figure d’art de vivre avec en guise de ministres une armée de charcutiers. Le jambon financier est tout d’abord découpé en tranches en fonction de l’importance des partis politico-confessionnels ; s’en suivent des entourloupes pharaoniques telles les opérations de surfacturation, des milliards de dollars dévolus au secteur de l’électricité avec finalement une heure d’électricité par jour. Chaque chef de communauté doit toucher en fonction de son poids, charge à lui de redistribuer des miettes à ses membres. Pas de problèmes : on engage à tout va dans la fonction publique pour calmer le populo, toujours selon le dosage confessionnel. Peu importe que le fonctionnaire dispose des compétences requises ou qu’il soit un fieffé fainéant. Acte III : la banque centrale est en défaut de paiement et les investisseurs étrangers qui avaient flairé l’entourloupe sont partis sous d’autres palmiers. Les banques commerciales à bout de souffle deviennent incapables de faire face à leurs obligations. Et l’épargnant dans tout ce micmac ? Tondu ! Il ne lui reste plus qu’à bêler devant le bancomat désespérément vide. Et le gros du pognon ? Envolé avant la crise : on évoque 100 milliards redirigés par les grigous vers des paradis fiscaux dont l’un a la particularité de posséder un jet d’eau.
La classe politique – bref aperçu
Selon l’importance de la personnalité, chef d’Etat, ministre ou député, tout déplacement se fait en convoi avec une prédilection pour de gros 4×4 Mercedes ou Audi noirs, vitres teintées pour être à l’abri du regard des manants, précédés et suivis des véhicules noirs transportant l’escorte aux costumes noirs et lunettes noires. « Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir » chantait Johnny Hallyday mais l’on n’est jamais trop prudent dans ce pays qui a connu maints attentats. Un dimanche, le Président était en déplacement au Nord de Beyrouth. Je n’ai pas vu le convoi mais des soldat postés tous les cent mètres pour marquer l’importance de l’événement. Dans le Chouf, fief de la famille Joumblatt, j’ai pu assister au rassemblement du député Taymour. Le ban et l’arrière-ban de la communauté druze étaient au rendez-vous. Fouille de mon sac et au corps avant d’entrer mais accueil très chaleureux des cadres du parti. Il a pour nom le Parti socialiste progressiste mais ce ne sont pas ces qualificatifs qui comptent. Taymour deviendra le zaïm de la communauté comme son père Walid qui se retire progressivement et son grand-père Kamal, tué par les Syriens. Sa mission ? Défendre les intérêts de sa communauté dans un contexte politique et sécuritaire toujours mouvant.
Côté chrétien, j’ai pu m’entretenir avec un membre du bureau politique des Kataeb, parti qui n’est plus que l’ombre de lui-même, avalé durant la guerre civile par les Forces libanaises, elles aussi du même bord. Malgré une rhétorique bien réglée tendant à démontrer que la communauté chrétienne serait forte et unie dans le cas d’un conflit avec la milice du Hezbollah, j’ai senti mon interlocuteur vaguement inquiet. Les dissensions politiques au sein des partis chrétiens ? Eludées alors qu’elles sont bien réelles, ne serait-ce pour l’élection du nouveau Président de la République. Le retour des réfugiés syriens ? On trouvera bien une solution alors tout indique que leur présence va se transformer en implantation durable. A ce jour, ils sont 1.5 million et n’envisagent en aucun cas un retour.
Un petit aperçu de l’histoire de Beyrouth
Au premier plan, La maison jaune : elle est située rue de Damas qui séparait les belligérants durant la guerre civile. On se mitraillait allègrement avec parfois une brève accalmie permettant le passage des civils et des humanitaires. Fortement endommagée, elle a été préservée de la destruction et transformée en un lieu de mémoire accueillant des expositions. C’est une construction de type néo-ottoman avec ses ogives et ses magasins au rez-de-chaussée. Derrière apparaît un immeuble flambant neuf construit après la guerre pour accueillir des bureaux. Architecture qui doit défier le ciel ? Pour concurrencer Dubaï ou pour dire que Beyrouth, depuis les Phéniciens, fut maintes fois détruite et reconstruite ?
Jean-Yves Grognuz,
14 mai 2022