Depuis les premiers âges, le Croissant fertile comprenant les Etats d’Israël, de Palestine, de la Syrie, du Liban et de l’Irak a été une terre de passage entre le continent africain, l’Europe et l’Asie. Terres riches, bien arrosées, c’est au Sud de la Turquie d’aujourd’hui que les premiers signes de sédentarisation des humains (élevage et cultures de céréales) sont apparus.
Migrations des oiseaux
Les gouvernements successifs libanais ne se sont jamais trop préoccupés de la protection de l’environnement hormis quelques petits arpents en montagne. Il y a bien quelques réserves pour les cèdres, l’arbre emblématique du pays qui furent coupés depuis la Haute Antiquité; il n’en reste que peu, fragilisés par le réchauffement climatique et les incendies. On a construit à tout va, n’importe où. Un amoureux de l’Asie s’est même payé le luxe de faire construire une énorme pagode sur un piton, arasant la colline pour y construire sa route. Les ordures ménagères sont enfouies le long du littoral provoquant une pollution olfactive et visuelle bien réelle. L’une d’entre elles, près de l’aéroport de Beyrouth, est surnommée Chanel n°5. Pourtant, dans la vallée de la Bekaa, riche des eaux du Mont-Liban encore bien enneigé en cette fin avril, une zone de quelques centaines d’hectares a été préservée. C’est une réserve constituée de vastes étangs accueillant les oiseaux migrateurs. Dommage, je suis arrivé trop tôt mais j’ai pu voir quelques tortues et des grenouilles. C’était miraculeux pour le Liban: pas de bruits de voitures, pas de bouteilles jetées au bord du sentier. Le gardien m’a dit qu’il avait parfois entrevu des loups descendant la nuit des montagnes. S’en suivit une intéressante discussion où son visage marqua de la stupéfaction en apprenant qu’au pays des montres et du chocolat, des loups gambadaient en toute liberté.
Migrations humaines
La crise financière générée par une classe politique de cleptocrates pousse les Libanais à s’expatrier. Ce phénomène migratoire est connu depuis le XIXe siècle et fut la conséquence de famines, de guerres et d’instabilité politique. On compterait 11 millions de Libanais aux quatre coins du monde pour une population résidente de 4 millions d’habitants. Depuis 2020, les départs sont massifs et concernent des jeunes diplômés, sûrs de trouver un travail en Europe, aux USA ou dans le Golfe persique. C’est une perte inestimable pour le pays. Des milliers de médecins, d’ingénieurs et d’artistes sont partis. A l’hôpital de la Quarantaine, le directeur ne peut que constater la raréfaction du personnel médical pour la seule unité du pays destinée aux enfants prématurés. Interroger des jeunes, voire des plus âgés, tous disent que leur avenir est ailleurs, n’importe où, mais ailleurs.
A l’aéroport, on peut voir des familles avec de jeunes enfants. Le nombre de valises transportées indique un départ pour une longue durée. Au Nord, à Tripoli, la ville la plus pauvre du bassin méditerranéen, la migration par petits esquifs est tentée avec pour résultat des noyades ou des refoulements par les autorités turques.
Et comment font-ils pour vivre ?
65% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté sans entrevoir le moindre espoir d’une vie meilleure. Les élections de mai? Elles ne changeront rien car le système électoral a été taillé pour servir les intérêts des grands partis. Les votes s’achètent sauf du côté du Hezbollaz, parti pro-iranien, qui contrôle bien son électorat. Peut-on résister à un billet de 100 $, pratique courante quand il faut acheter des médicaments ou se payer de quoi manger? Une bonne partie de la population survit grâce aux aides d’organisations locales financées par des dons de l’étranger. Sans les Libanais expatriés qui utilisent le système de transfert d’argent Western Union (également disponible à la gare du Sentier) pour aider les membres de leurs familles, celles-ci mourraient de faim. J’ai été surpris de constater à quel point ces officines aux enseignes jaunes ont fleuri dans tout le Liban en l’espace d’un an. Ce n’est pas bon signe. Le pays est à bout de souffle, sa population est dans le désespoir et l’on peut craindre des troubles.
Jean-Yves Grognuz,
24 mai 2022