Changement de paysage pour l’équipage de Chamade. Après les austères Marquises, leurs montagnes luxuriantes et leurs falaises abruptes qui dominent la mer, cap sur les atolls des Tuamotu. Paysages de carte postale, lagons turquoise, sable blanc et palmiers. Le « plat pays » des mers du sud, éblouissant de beauté, ne réserve pas que de bonnes surprises à Sylvie et à Marc. Récit.

Longtemps, les navigateurs ont redouté l’archipel des Tuamotu. Ce « Plat pays » des tropiques n’a pour montagnes que quelques cocotiers ébouriffés. Autant dire que du pont d’un bateau, on ne distingue la présence d’une terre qu’à la dernière minute, surtout dans une nuit sans lune. Combien de navires ont-ils aperçu trop tard la mer déferlant sur le platier corallien, avant d’aller se fracasser sur le récif ? Heureusement, au temps du GPS, l’approche des atolls est plus sereine. Mais par prudence nous attendons le jour pour les aborder. Car GPS ou non, cela reste un défi de franchir la passe, cette brèche ouverte dans la ceinture de corail qui permet d’entrer dans le lagon. Une passe où les courants entrants et sortants alternent avec les marées. Ou plutôt, devraient alterner. Théoriquement. Mais lorsque les grandes houles du large dépassent les deux mètres, les vagues passent par-dessus l’anneau corallien et les lagons se remplissent, mais ne débordent pas puisque le trop plein d’eau s’évacue avec force par la seule trouée possible : la passe. Un véritable torrent qui s’échappe alors de l’atoll.
C’est exactement ce qui arrive lorsque nous approchons de l’atoll de Raroia, notre première escale dans l’archipel. Nous décidons d’attendre, à distance et nous nous laissons dériver doucement, en espérant que la marée entrante finira par calmer la fureur du courant contraire. Au bout d’une heure et demie, les vagues rebelles qui nous barrent la route, semblent diminuer. Nous décidons de « passer en force », moteur à fond, face au courant. Et ça passe… même si nous n’avançons qu’à 2 km/h à peine.
Nous voilà au calme, dans le lagon. Nous jetons l’ancre entre deux patates de corail -attention à ce que la chaîne ne se prenne pas dedans- et nous descendons à terre, chargés d’un gros paquet de mini citrons verts. Nos amis des Marquises nous ont chargés de les apporter à leur fille Amélie. C’est un cadeau royal dans cet archipel des Tuamotu où, à part les cocotiers, aucun arbre fruitier ne pousse, le sol de sable corallien étant peu fertile.
Amélie est ravie. Ravie de nous voir, ravie des citrons et de sa nouvelle vie à Raroia où elle se sent bien intégrée. « Beaucoup de jeunes sont partis travailler à Tahiti, alors les gens sont contents de nous voir nous installer ici ». Elle est arrivée, il y a six mois avec son mari originaire du village qui ne compte plus que 115 habitants. Elle travaille deux jours par semaine à l’aérodrome, pour s’occuper de l’embarquement et du débarquement des passagers. Avec l’aide d’un cousin, le couple est en train de construire leur maison et rêve d’ajouter deux annexes près de la plage: deux bungalows, pour accueillir des touristes. Amélie a déjà entrepris d’élever des poules et de vendre leurs œufs. Car curieusement, en Polynésie, où l’on voit des poules courir partout en liberté, on n’arrive que difficilement à se procurer des œufs, faute de poulaillers et on préfère acheter du poulet congelé. « On ne sait pas ce qu’elles mangent, ces bêtes, ni où elles pondent leur œufs… ». Amélie, la Marquisienne de Raroia qui a vécu quelques années à Tahiti est bien décidée à changer les choses ! Son projet s’inscrit parfaitement dans l’évolution de ces îles où la population s’est longtemps contentée de vivre de pêche et de quelques légumes, attendant patiemment le bateau ravitailleur qui passe toutes les 3 à 4 semaines. Néanmoins, l’isolement reste un grand handicap pour « changer les choses », même si pour éviter un exode rural et une trop grande concentration de population à Papeete, la capitale, le gouvernement subventionne la construction de maisons individuelles et investit dans les infrastructures. A Raroia, l’internet est encore balbutiant et les liaisons aériennes (subventionnées) peu fréquentes. Pour l’anecdote, la commune a mis au concours un poste de « Mutoï » (policier municipal). Mais quasi personne n’est éligible, car il faut un casier judiciaire vierge. Or, nous dit Amélie, la plupart des gens ici ont été une fois ou l’autre, condamnés pour culture et/ou consommation de « pakalolo », l’herbe locale !
Pour les visiteurs que nous sommes, ce qui frappe, c’est avant tout le sourire, la cordialité et la gentillesse de l’accueil des gens et on se demande à quoi pourrait bien servir un « Mutoï » dans ce petit paradis que nous venons squatter.
Oui, avouons, le : si nous sommes venus aux Tuamotu, c’est avant tout pour y vivre quelques semaines en Robinson. Ainsi très vite, mais avec prudence, nous traversons le lagon, truffé de corail affleurant, pour aller jeter l’ancre derrière un motu (îlot) désert au milieu de la barrière corallienne. Et là, c’est la carte postale !

Eaux turquoise, sable blanc et cocotiers, corail multicolore et en stéréo, juste le chant des oiseaux et l’écho des vagues qui heurtent le platier… on va se régaler. D’autant plus que les habitants sous-marins ne sont pas farouches. Poissons perroquet, mérous, murènes, quelques requins pointe noire (inoffensifs) sont au rendez-vous. Nous recevons même la visite surprise d’une raie manta qui vient tourner, ou plutôt voler majestueusement autour du bateau. Ballet aquatique, ballet céleste aussi. Les noddis ou les sternes blanches, deux par deux, nous offrent des chorégraphies parfaitement synchronisées. On dirait des anges qui dansent.
Mais voilà, les chemins du paradis sont aussi parsemés d’embûches. Il suffit d’une manœuvre mal emmanchée pour que s’ouvrent les portes du purgatoire. Le capitaine se retrouve coincé par un beau lumbago. Sylvie et Elena assurent la navigation jusqu’à l’atoll de Makemo où notre équipière prend l’avion pour regagner la Suisse. Makemo où le jeune médecin du dispensaire diagnostique aussi une hernie inguinale. « Il ne faudrait pas que cette hernie s’étrangle… vous ne devez plus rien porter ni tirer… et rester tranquille ». Pas simple sur un bateau !
Comme on ne peut pas rester indéfiniment dans le mouillage peu protégé de Makemo, il faut bien établir un plan B. A savoir gagner la région de Tahiti pour y abriter Chamade et rentrer en Suisse pour se faire opérer. Mais 4 jours de navigation sont nécessaires. Les premières vingt-quatre heures Sylvie assure seule la manœuvre jusqu’à l’atoll de Fakarava où Hervé, un ami qui navigue dans la région, embarque en renfort sur Chamade pour les 3 derniers jours d’une navigation assez musclée.
Restera à préparer Chamade pour un hivernage de durée indéterminée et à le sortir de l’eau, avant de nous envoler pour l’Europe. Au moment où vous lirez ces lignes, peut-être que Marc sera déjà en convalescence sur les hauteurs des Fûves, le regard posé sur l’horizon… du Risoud !
Quant à la suite, on en reparlera en temps voulu.
Plus de photos et de récits sur le blog : www.chamade.ch

Par Sylvie Cohen et Marc Decrey