Hélas, je ne les entends plus, le soir, la fenêtre ouverte sur les champs de mon village.
C’est le silence, mis à part quelque voiture qui passe. Ou ces cloches de vaches, nostalgiques un peu, sur le versant nord d’un pâturage proche. Il y a un vide quand même. Notre vie a été amputée d’une chose essentielle : le chant de ces batraciens, symbole des soirées humides de l’été.
Non, je n’entends plus les grenouilles mener leur concert, le soir.
D’elles je n’entends plus rien.
Suis-je devenu sourd où est-ce vrai, qu’on n’entend plus les grenouilles ?
Elles devaient être au bord du lac. Quel chambard ! C’était l’été, belles soirées d’été, quand l’obscurité se fait et qu’en même temps que la rosée descend sur les champs, elles commencent à chanter. Elles font comment ? Elles font coa comme dans les livres ? C’est plus complexe. Mais c’est le chant de centaines de grenouilles que l’on entendait.
Alors on achevait une rude journée de foin. On s’était lavé. On avait encore la peau qui brûle de tant de soleil. On avait mis un pyjama tout propre. On était bien, mis à part ce chaud sur la peau. Il fallait naturellement ouvrir la fenêtre. On sentait l’odeur du foin à plein nez. Il faut le dire, la grange était à deux pas, juste à côté. Et pleine de foin. Alors qu’on en sente les effluves en soirée ne pouvait qu’être naturel. Et puis rajoutez aussi celles des champs fauchés situés quasiment sous la fenêtre. Quelle bonne odeur que celle du foin. Et quel joli chant que celui des grenouilles.
Je les écoutais. J’étais bien. Je lisais. Des bandes dessinées que je mettrais ensuite sous le lit avant que je n’éteigne la lampe de chevet et que je me coule sous le duvet. Apaisé. Satisfait. Et tant pis si demain on continue les foins et que la fatigue sera égale à celle d’aujourd’hui. Puisque ce prochain soir, j’entendrai à nouveau le chant des grenouilles tout en lisant.
Fenêtre ouverte donc, par laquelle pénétrait l’air plus frais déjà du crépuscule. Faudrait quand même se résoudre à la fermer tantôt. Mais pour l’heure, laissez-moi encore écouter le chant des grenouilles. Là-bas dans les champs les plus humides, ou plus loin encore, au bord du lac, où elles vivent. Heureuses, on le suppose. Puisqu’elles chantent et nous enchantent. C’est le chant des grenouilles que désormais l’on n’entend plus. On perçoit seulement ce bruit de cloches un peu plus lointain maintenant, puisque les vaches se sont éloignées pour gagner l’extrémité du pâturage. C’est aujourd’hui. C’est ce soir. Je suis un peu triste parce que je n’entends plus les grenouilles, ce concert par moment presque surréaliste. Avec en plus cette certitude douloureuse que ce passé plein de sons différents et de charmes oubliés ne reviendra plus. Ni pour moi ni pour tous les autres qui l’ont aimé, ni même pour les nouvelles générations qui seraient sensibles plus que d’autres à notre environnement naturel tel qu’il aurait toujours du être préservé.
J.-R. Rochat