Vous avez été nombreux et nombreuses à être surpris·es et ne pas comprendre l’annulation de notre nouvelle saison à La Bobine. Nous partageons cette déception et c’est pourquoi nous prenons la plume pour nous expliquer.
En 6 ans de présence à La Bobine, nous avons partagé des moments d’émerveillement: des salles combles, des cinéastes ravis d’allier ski de fond et présentation de leurs films, un ciné-bal avec bal folk après le film, le lancement de Passion Alaska, un ciné-concert avec l’Harmonie de Pontarlier ou encore des lectures avec l’écrivain Blaise Hoffmann, le tout l’estomac rempli de tartines maison des brunchs offerts avant les séances. Mais aussi les plantées: «c’est quoi ce film?», la cinéaste égocentrique qui décompense avec 10 personnes à sa séance, une saison à vide durant le COVID et la reprise timide avec toujours 30 à 40% de public en moins dans les salles.
Néanmoins, nous avons gardé intacte notre passion de partager des films, notre envie de permettre la parole et l’échange, vivre un moment de convivialité autour de thématiques aussi fortes que variées.
Nous vous remercions vivement cher public qui êtes venu partager ces moments avec nous, chère équipe du cinéma qui avez toujours été si accueillante et chers partenaires – les 3 communes, la Fondation Paul-Edouard Piguet et l’entreprise Audemars Piguet – qui avez soutenu généreusement notre projet.
Néanmoins, alors que notre 7e saison débute ce mois-ci dans nos dorénavant 20 salles partenaires, nous sommes au regret de renoncer à nos séances à La Bobine. Nous sommes lassés de devoir batailler avec le Village du Sentier – propriétaire et gérant de la salle – qui s’oppose à la plupart de nos propositions, ne montre aucun signe de reconnaissance pour le travail accompli et ne semble pas sincèrement vouloir de projets comme le nôtre dans ses murs.
Nous avons proposé des ciné-concerts – vous les avez ensuite interdits; nous avons proposé des repas à midi – vous les avez ensuite interdits; nous avons organisé des apéritifs et brunchs – vous nous avez reproché les miettes; nous avons accompagné le lancement de Passion Alaska – vous n’avez pas su accueillir le film comme il se doit; nous avons proposé de collaborer aux mêmes conditions que nos 19 autres salles partenaires – vous avez refusé et imposé vos conditions; nous avons organisé des séances scolaires – vous étiez défavorables. Votre dernière exigence en date – une augmentation de 50% des tarifs de location pour la prochaine saison Ciné-Doc – nous aura convaincus de renoncer.
Alors que partout et comme jamais depuis la pandémie, la solidarité anime les professionnel·le·s du cinéma en Suisse, qu’ensemble nous cherchons des solutions pour continuer à réunir le public autour d’une programmation diversifiée, le Village du Sentier prend la direction inverse et nous le regrettons vivement.
Si nous avons fini par comprendre ce qui n’est pas le bienvenu dans la salle, nous peinons à comprendre la vision du Village pour ce lieu. Alors, nous vous posons clairement la question: quel est le projet pour que La Bobine soit toujours un lieu vivant dans 10 ans ou 20 ans? Car c’est aujourd’hui qu’il faut y penser. C’est aujourd’hui qu’il faut être proactif pour ne pas être victime de l’érosion continue du public dans 20 ans.
Il nous semble, en effet, de plus en plus évident qu’une salle de cinéma dans une région comme La Vallée doit se réinventer si elle veut survivre et rester un lieu culturel qui réunit un public diversifié. Les plus jeunes n’iront pas au cinéma comme nous y sommes allé·e·s et il n’y aura probablement pas le public nécessaire pour remplacer le public d’aujourd’hui. Il faut avoir l’honnêteté de le dire et de l’accepter. Pourquoi? Car cela permet d’imaginer l’avenir et d’ouvrir le champ des possibles.
Il est d’ailleurs passionnant de regarder les projets qui naissent partout en Suisse romande: le cinéma de Pully est devenu incontournable pour sa programmation alliant concerts et cinéma, l’ABC à La Chaux-de-Fonds est un centre culturel alliant concerts, théâtre, cinéma et café-restaurant, La Grange à Delémont se réinvente avec une nouvelle équipe pleine d’idées, le Royal à Sainte-Croix multiplie les événements et le cinéma Eden à Château-d’Oex vient d’investir pour proposer des concerts dans la salle.
Ces salles l’on comprit, l’avenir est à la diversité et à la collaboration. Et les salles de cinéma ont un grand potentiel: celui de devenir des lieux mixtes, des lieux culturels offrant des propositions diversifiées, dans lesquels les films continueront de garder une place de choix.
Et si nous rêvions un peu plus loin et transposions cet esprit à La Vallée? Et si nous rêvions d’un centre culturel à La Bobine qui rayonne dans toute la région et plus loin à la ronde?
Rêver de venir écouter Phanee de Pool en concert le vendredi, rire devant le dernier one-man-show de Nathanël Rochat ou Yann Marguet le samedi, s’émerveiller devant un spectacle pour enfant le dimanche après-midi ou une pièce de théâtre. Rêver d’être touché·e par un film du Sud le mardi, déçu par un blockbuster un samedi soir, rassasié·e par un ciné-brunch le dimanche matin. Rêver de venir une heure plus tôt boire une mousse, parce que le bar de La Bobine est trop sympa et «pedzer» après. Rêver de se faire décoiffer par le Festival Hors Normes ou détendre par un concert baroque des Rencontres culturelles de La Vallée. Rêver que les jeunes de La Scène y programment le dernier rappeur suisse allemand dont nous n’avons jamais entendu parler ou que l’Écho des forêts nous surprenne par un «Bella Ciao» inattendu.
Vous l’aurez compris, ces rêves dépassent largement la question de la présence de Ciné-Doc à La Bobine ou non, il s’agit de réfléchir plus largement à l’avenir d’une salle, à la politique d’un Village et à l’offre culturelle à La Vallée.
Ouf, cela fait vraiment du bien de rêver, surtout quand nos rêves semblent réalisables!
Gwennaël Bolomey,
Pour Ciné-Doc