L’Iran compte 85 mios d’habitants dont 80% vivent dans des villes. Depuis les années soixante, l’exode rural a été l’un des principaux changements de vie de la population, attirée par des perspectives plus attractives dans les cités. On pourrait penser que les sanctions économiques qui frappent l’Iran depuis la Révolution ont mis à genoux son secteur industriel. Certes elles sont handicapantes mais le pouvoir a organisé de multiples filières pour les contourner. L’Iran fabrique par exemple des voitures, des frigos, des médicaments. Les universités et les lycées, foyers de la contestation, regorgent de talents (plus de 50% des étudiants sont des femmes). Ce sont les
14-35 ans, nés après la Révolution de 1979, qui se battent pour leur émancipation. Les slogans « femme, vie, liberté » ont fait désormais place à des revendications plus politiques qui mettent en cause le régime. Un pas a été franchi. Quelle que soit la réaction du pouvoir qui n’hésite pas à réprimer durement, il y aura un avant et un après la mort de Mahsa Alimi.
La population
Les Iraniens sont d’une extrême politesse, toujours avec la main sur le cœur pour vous saluer. Les contacts sont aisés sans être intrusifs. Ici vous êtes un hôte d’autant plus important que vous êtes grisonnant et que vous venez de Suisse perçu comme l’Eden terrestre. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été invité à partager un verre de thé. Impensable de voir un étranger seul à une station-service ; la nombreuse famille qui finissait son déjeuner sur l’herbe a tout remis en place. Nattes déroulées, thé et œufs durs offerts alors que les hommes réactivaient le brasero pour me griller un kebab, habitude que Madame la députée française Sandrine Rousseau, grande prêtresse d’un écoféminisme de pacotille avait qualifié d’attitude « de mâle dominant ». Pauvre Sandrine : elle aurait beaucoup de choses à apprendre ici. Ce savoir-vivre s’appelle le Ta’arop et appartient à un code de conduite ancestral.
Le quotidien
Alors qu’il était particulièrement élevé à l’époque du Shah, soit avant 1979, le taux de natalité a chuté ces dernières années en raison d’un mode de vie urbain et des revenus insuffisants des familles. C’est la question du pouvoir d’achat qui est la préoccupation principale. Certes les biens essentiels sont disponibles mais tout est devenu onéreux alors que les salaires ne suivent pas la hausse de prix.
J’ai partagé le repas d’une famille dans la banlieue sud de Téhéran. Le père de famille devrait pouvoir bénéficier de sa retraite mais celle-ci ne suffit pas. Il continue à travailler comme livreur à moto ce qui l’oblige à rentrer tard le soir. Début de la soixantaine, regard franc, mains calleuses, il vient des régions montagneuses du Nord tout comme son épouse. Deux filles. La première mariée qui nous rejoindra avec son époux, mais sans enfant au désespoir de sa maman. Trop cher à élever : ils économisent pour acheter un appartement pour éviter les hausses de loyer. La cadette, dix-neuf ans, de grande maturité et s’exprimant dans un anglais parfait débute un master en allemand tout en étudiant le coréen sur les réseaux sociaux. Ses fréquentations furent surveillées jusqu’à l’âge de ses dix-huit ans et dit en avoir souffert. Sourire à un garçon est synonyme de fille dévergondée dans ce milieu conservateur. Si son avenir lui paraît encore flou, elle évoque toutefois la possibilité de s’expatrier à Vancouver où réside une forte communauté iranienne. Elle est très ouverte sur le monde, soutient le mouvement de revendication des féministes iraniennes mais n’a pas participé aux manifestations. Hospitalité oblige, l’épouse a passé son après-midi en cuisine. Le repas fut servi sur les tapis recouverts d’une nappe. Mets subtils car la cuisine iranienne est la meilleure du Moyen-Orient.
Vive les mariés
Séance de photos la veille d’un mariage dans la cour d’un hôtel où j’étais descendu. Le marié et sa promise prennent la pose avec des habits traditionnels. La robe blanche, ce sera pour le lendemain. Milieu très aisé : c’est le papa du marié qui dirige les opérations et il attend des centaines d’invités. Il prend le temps de me montrer des photos. Ah que la vie était belle du temps du Shah ! Le marié tient à être photographié car il est Président d’une société de chasse, sorte de Diana régionale. Tout comme son homologue des Charbonnières, il a pris le temps de me parler avec passion de battues et de gibier.
Réchauffement climatique et approvisionnement en eau
Comme partout ailleurs, le réchauffement climatique frappe l’Iran et la sécheresse fut particulièrement sévère cette année. Le cas de la ville de Yazd dans le désert en est la parfaite illustration. L’eau provient depuis des centaines d’années des montagnes par des canaux souterrains, les qanats, puis est stockée dans des réservoirs couverts de dômes en briques. D’ingénieux moulins à vent servent à rafraîchir l’eau ainsi que l’habitat. L’eau est ensuite distribuée aux ménages et agriculteurs selon un mode de répartition semblable aux bisses valaisans. Or la population de la ville a fortement augmenté, créant des besoins supplémentaires. Un pipeline la relie depuis les Monts Zagros distants de 300 km. Yazd a de l’eau mais c’est Ispahan qui souffre de pénuries. Les climatologues estiment que le réchauffement du Moyen-Orient sera deux fois plus élevé qu’ailleurs. Les paysans et éleveurs avec lesquels j’ai pu m’entretenir ressentent bien ce phénomène mais aucune politique gouvernementale n’est initiée pour parer à la crise qui s’annonce. Les cultures du riz, du maïs et du coton, gourmandes de l’eau des nappes phréatiques devront dans certaines régions être abandonnées. A Ispahan, l’eau ne coule plus sous ses célèbres vieux ponts. Si rien n’est entrepris, les impacts sur les populations seront catastrophiques avec pour faits marquants les migrations, les inégalités pour se procurer la nourriture et les conflits dans la région du Moyen-Orient.
Réfugiés afghans
Depuis la chute du gouvernement de Kaboul et la rocambolesque évacuation de civils ayant collaboré avec les puissances occidentales, l’Afghanistan et ses Talibans n’intéressent plus personne. L’Histoire a toujours démontré qu’il y avait de « bons » réfugiés pour lesquels protection et assistance devaient être prodiguées et les « autres ». Et parmi les « autres » figurent 5 mios d’Afghans coincés en Iran car la porte de sortie vers la Turquie, donc vers l’Europe est fermée. Ils vivent de petits boulots et évitent de se faire remarquer. L’un d’entre eux ramasse du plastique dans les parcs : le kilo est payé 30 centimes. Blessé à la hanche par les Talibans, il peine à marcher. D’autres sont maçons, travailleurs agricoles.
Jean-Yves Grognuz,
le 15 novembre 2022