N’en déplaise à un certain jeune géologue incrédule, la source d’eau sulfureuse, appelée autrefois l’eau soufrée, n’est pas une légende. Elle a réellement existé. Depuis quand est-elle connue ?
Il semble que la source fut perdue pour un temps vers la fin du
18e siècle et qu’elle ne reprit son activité qu’au début du 19e siècle. Charles-Auguste Piguet, qui dirigeait depuis une quinzaine d’années d’importants ateliers d’horlogerie dans sa maison du Bas-du-Chenit (La Gentiane, démolie en 1976), a créé et exploité parallèlement à son industrie, une pension qui a attiré de nombreux curistes étrangers, encouragés par la proximité de la source d’eau soufrée.
On sait qu’en 1839, Renaud, alors tenancier du logis de La Lande, remet son affaire à un nommé Perey. Ce monsieur Perey préside à l’amélioration de la captation de la source et à son aménagement. Cependant son passage à La lande fut de courte durée puisqu’en 1841 déjà, les frères Jacques-David et Lucien Rochat, alors devenus adultes, reprennent les rênes de l’auberge. Ils procèdent en 1855 à d’importantes transformations, dont le rehaussement de leur bâtiment qui devient à l’état d’Hôtel. Perey a-t-il toutefois continué dans son rôle ? Les Rochat ont-ils pris la relève ?
En 1887 Lucien Reymond nous parle de l’établissement d’une fontaine en 1869. C’était sûrement un bassin en bois qui a précédé celui en tôle que nous connaissions, installé par la commune de Morges. Au-dessus du bassin, se trouvait un panneau horizontal en tôle peinte, supporté par deux colonnes métalliques où l’on pouvait lire : EAU SULFUREUSE FROIDE, commune de Morges.
Depuis le début des années cinquante, l’eau soufrée ne coule plus. Il ne coule plus que l’eau des marais. Ce serait au cours du remplacement des tuyaux que le dommage serait survenu. Jean-Lucien Berney me l’a confirmé. Les travaux étaient exécutés sous la direction de l’ingénieur forestier de la commune du Chenit, Jean Robert, qui était chargé également des propriétés de Morges situées sur le Chenit. Ce serait en creusant vers le captage que le filet d’eau a malencontreusement été dévié et la fontaine mise à sec.
L’eau ne coulant plus, le bassin a été enlevé, l’enseigne aussi. Il reste les tuyaux posés à même le ruisseau qui passe sous la route internationale par un petit tunnel. Ces tuyaux sont toujours visibles et faciles à découvrir.
J’ai bu une seule fois de cette eau. La grimace qui s’en est suivie, due au goût et à l’odeur d’œuf pourri, m’a incité à ne pas renouveler l’expérience. Elle avait, disait-on, de telles propriétés préventives, curatives, thérapeutiques, que ma grand-mère me tendait un gobelet et m’envoyait en boire assez régulièrement. Au retour, à la question de savoir si je m’étais soumis à sa volonté, je répondais toujours par un mensonge. Cependant les bains d’eau sulfureuse soulagent indéniablement les douleurs articulaires.
De nos jours, en janvier, lors du redoux avec beaucoup de pluie, on sent une forte odeur de souffre déjà depuis le pont du Biblanc. On serait tenté de croire que la source a ressuscité une nouvelle fois.
Sur ce sujet il reste bien des zones d’ombre. Une visite aux archives de Morges pourrait peut-être nous fournir des éléments susceptibles de nous éclairer un peu.
Eugène Vidoudez