Il a rendu son tablier mardi soir lors de l’assemblée générale du Crédit Mutuel de la Vallée de Joux (CMVJ). L’occasion d’un bilan, de quelques perspectives d’avenir et de se rappeler que Pierre Dubois fut banquier dans une autre vie. Interview.
Que vous rappelez-vous de vos débuts au conseil d’administration (CA) du CMVJ ?
J’y suis entré en 1990, je m’en rappelle bien puisque c’est l’année où je suis revenu vivre à La Vallée, où j’avais grandi. Je quittais à l’époque l’UBS, où j’avais travaillé dans le crédit bancaire, pour rejoindre Audemars Piguet. J’étais à peine assis dans mon nouveau bureau que mon téléphone sonnait. Marcel Rochat dit «Moranice», qui était administrateur au CMVJ, m’appelait pour remplacer un membre démissionnaire.
Vous avez rapidement remplacé l’ancien président, un homme aux antipodes de votre profil…
Oui, le notaire Georges Giroud, qui approchait les quatre-vingts ans. Et le conseil lui-même comptait d’autres retraités ou bientôt retraités, il a été souhaité que du sang neuf arrive. Je me suis du reste retrouvé catapulté président quand M. Giroud a eu des problèmes de santé. J’étais le seul administrateur au bénéfice d’une formation bancaire.
Votre fonction vous a-t-elle demandé beaucoup de travail personnel, à domicile ? Comme un étudiant du gymnase du soir ?
J’ai toujours beaucoup lu de magazines professionnels. Le secteur bancaire peut paraître rébarbatif; je l’ai toujours trouvé passionnant, parce qu’une banque est un carrefour incontournable. Quels que soient votre activité, votre statut social, votre fortune, un jour ou l’autre, vous aurez affaire à une banque.
Et du point de vue de la banque, on est autant prêteur que dépositaire de l’épargne de ses clients.
Je lis ici: trente ans de présidence, 150 séances avec le CA, 700 avec le comité restreint, qui se réunit tous les quinze jours… Y a-t-il des souvenirs qui se détachent, des moments marquants ?
Peut-être la décision de quitter nos locaux historiques, juste à côté de l’Hôtel de Ville, aujourd’hui occupés par l’entreprise de sécurité EGS. C’était notre bâtiment, mais nous avions conclu qu’il ne reflétait pas l’image que nous souhaitions transmettre.
En 2006, nous avons pu racheter l’immeuble abritant l’ancienne enseigne de chaussures, Golay-Savary qui avait également une boutique de mode au rez-de-chaussée. Un très beau bâtiment que nous avons profondément restructuré pour les besoins d’une banque et qui est notre siège actuel. Ce fut un énorme chantier et une opération importante en termes d’image pour le CMVJ.
Quels ont été les moments critiques de votre présidence ?
Les changements de direction – et je n’en ai connu que deux – sont toujours des moments charnières. L’histoire a démontré que nous avions fait de bons choix.
On peut aussi citer le Covid. Au début, on ne savait pas trop comment la conjoncture allait évoluer. Est-ce que, par exemple, les bancomats allaient tomber en désuétude parce que les clients ne voudraient plus toucher à l’argent liquide? Mais peut-être que le plus important fut l’abandon du secret bancaire pour les clients étrangers, un pilier sur lequel reposait tout le système bancaire helvétique.
Mais nous ne nous sommes jamais trouvés dans des situations critiques.
Quelle est l’évolution principale que vous avez observée depuis les années 90 ?
La régulation, sans nul doute. Quand j’ai commencé, c’était très peu structuré; on pouvait accorder des prêts hypothécaires avec une marge d’appréciation beaucoup plus large qu’aujourd’hui.
Le monde bancaire a subi de gros chocs en trente ans! Le premier, c’était en 1991, avec la faillite d’une petite banque régionale comme la nôtre, la Caisse d’épargne et de prêt de Thoune. À l’époque, ça a fait grand bruit, pensez: une banque suisse… Dès lors, le système de surveillance s’est considérablement renforcé.
Depuis, il y a eu périodiquement de nouvelles crises au niveau suisse, résolues chaque fois soit par une absorption soit par un sauvetage de l’État. Bien avant le Crédit Suisse, l’UBS et la BCV, notamment, ont été sauvées de la faillite. À chaque crise, le système de surveillance s’est renforcé et le cadre est devenu de plus en plus contraignant et normé. Aujourd’hui, il n’y a pas de secteur aussi surveillé que celui de la banque.
Quelle est votre plus grande satisfaction ?
D’avoir vu la banque grandir harmonieusement, sans subir de chocs. Le bilan à mon arrivée était de l’ordre de soixante millions; il dépasse aujourd’hui les deux cent vingt millions, la taille a donc été multipliée presque par quatre. Cette croissance aurait pu, théoriquement, être atteinte plus rapidement, au prix d’une stratégie agressive et d’affaires à risque… ce que nous nous sommes toujours refusés, pratiquant une politique de prudence. La croissance a donc été mesurée, organique mais constante.
Précision: le nombre de collaborateurs (huit) a progressé dans une moindre proportion. La taille de l’effectif n’est donc pas proportionnelle au volume des affaires. Mais le marché a pris de la valeur et le prix des transactions a nettement progressé en 30 ans.
Et qu’est-ce que ce mandat vous a amené humainement ?
Une diversité de vues sur ma région. Ma perception, mon prisme est celui d’un patron d’entreprise horlogère et grâce à nos clients, particuliers, commerçants et entreprises mais aussi à mes collègues administrateurs, j’ai pu découvrir et apprécier d’autres points de vue. Finalement, une banque régionale offre un «scan» exceptionnel d’une région.
Nous autres administrateurs, nous sommes tous de La Vallée; chacun a, dans son domaine, des ancrages solides et connaît la région sur le bout des doigts. C’est nécessaire pour pouvoir évaluer des biens immobiliers. Qu’une maison se situe au bord du lac ou à proximité d’une usine en construction, ce n’est pas tout à fait la même chose et savoir l’évaluer est le cœur de notre métier.
Vous avez occupé pendant trente ans le fauteuil du président. C’est long !
Je n’ai jamais pensé faire trente ans. Mais je n’ai jamais ressenti que je prenais la place de quelqu’un. J’aurais pu partir il y a cinq ans déjà, mais la décision a été prise il y a deux ans. La transition a pris plus de temps que prévu, afin de trouver le bon successeur. Vous le savez, il est plus facile de prendre une responsabilité que de la remettre!
Quelle serait selon vous la durée idéale ?
Une quinzaine d’années. C’est le temps de prendre ses marques, d’amener de nouvelles idées puis de passer le témoin. Sur la base de mon expérience préalable de 6 ans à l’UBS, j’ai probablement plus contribué au développement du CMVJ au début de ma Présidence.
Je me réjouis que de nouvelles compétences arrivent au CMVJ, typiquement dans le domaine de la digitalisation. La jeune génération gère ses comptes sur son portable.
Y a-t-il encore une place sur le marché bancaire pour de petites banques de proximité, telles le CMVJ ?
Oui, bien évidemment ! Chaque fois qu’on fait deux pas vers la globalisation et le gigantisme, on en fait un en arrière vers la proximité. C’est ce qu’on a vu pendant le Covid, avec les marchés à la ferme et autres commerces de détail.
Le phénomène s’observe aussi dans le secteur bancaire. Une banque régionale apporte à sa clientèle une qualité de relation qui est totalement différente d’une grande banque.
Nos clients sont dans l’ensemble plus fidèles que dans les grands établissements, notamment grâce à nos collaboratrices et collaborateurs, au CMVJ depuis plus de 10 ans pour la grande majorité.
Une de nos plus grandes forces, c’est notre rapidité de décision, cinq jours ouvrables au maximum. Nous sommes imbattables dans ce domaine. Dans beaucoup d’autres établissements, les centres décisionnels sont éloignés, sauf pour les opérations de moindre importance.
Est-ce que votre taille modeste est aussi un gage d’être prémuni contre les problèmes que nous avons évoqués et qui font les gros titres ?
En partie. La surrégulation pourrait remettre en question l’avenir d’établissements de notre taille. Les problèmes économiques, par exemple la brutale remontée des taux d’intérêts, ont aussi une incidence sur la marche des affaires.
Aujourd’hui, l’écrasante majorité des affaires est constituée de prêts à taux fixes et donc génèrent des revenus stables, tandis que nos charges sont tributaires de l’évolution des taux.
Mais n’oublions pas que nous pouvons aussi bénéficier du support de notre actionnaire principal, la Banque Valiant, un établissement solide, 150 fois plus grand que nous. Cela nous apporte aussi de la sérénité et de la confiance. Quoi qu’il en soit, le CMVJ est aujourd’hui, pour elle-même, une banque saine et je m’en réjouis.