La Poste ponctionne jusqu’au dernier souffle
Vaches à lait et pompes à fric sont les deux mamelles de notre chère(!) et belle Helvétie. Pour l’une des métaphores, le citoyen paie; pour l’autre… le citoyen paie aussi. Un principe que La Poste a bien compris et en profite jusqu’au… dernier souffle et au-delà. Sans aller jusqu’à la nostalgie pleurnicharde, on est en droit de regretter, tout de même, l’entreprise de service qu’elle était… il y a longtemps (et qui ne se substituait pas aux petits commerces locaux en vendant des articles tout sauf postaux!). Faire du blé, de la galette, du flouze, du pognon, du fric: tel est son crédo. Dans l’économie de marché d’aujourd’hui, cela paraît normal, voire indispensable pour survivre. Mais il y a des limites, quand même.
Mon coup de gueule vise une pratique certes coutumière, mais incompréhensible, voire indécente dans le cas qui a provoqué ma rogne. Un tour de passe-passe qui pourrait rapporter quelque deux millions huit cents mille francs brut par année. Une jolie somme. Ce pactole n’est autre que celui qu’engrange, grosso modo, La Poste pour une tractation qui se nomme joliment demande de changement d’adresse temporaire avec ordre pour personne décédée. Eh! oui, le géant jaune ponctionne allègrement 42 francs à quiconque demande simplement de supprimer l’adresse d’un défunt et de réacheminer son courrier à l’adresse d’un proche, redistribution qui peut se prolonger bien au-delà de la disparition de l’être cher. Et cette démarche n’est pas anodine pour le demandeur puisqu’elle impose de se présenter au guichet avec l’acte de décès et le certificat d’héritier.
Sachant que, «bon an mal an» la Suisse enregistre quelque 67’300 décès (donnée Office fédéral de la statistique), il est aisé de calculer la manne que la mort apporte dans l’escarcelle jaune. Un profit à l’odeur nauséabonde puisqu’il ne s’agit pas d’un changement d’adresse mais, repos éternel oblige, d’une annulation ad aeternam de celle-ci. Une formulation que La Poste n’entend pas de cette oreille. Pourtant en raisonnant un tantinet, cette boîte aux lettres ne reverra jamais le jour avec le nom qui lui était alors accolé. On est d’accord. Fort de cette réflexion dûment interjetée à la jeune préposée postale, le soussigné s’est vu répondre par cette dernière sans sourciller la moindre (et en mâchouillant son chouing gomme – c’est d’un chic et ça m’a profondément énervé): «Et c’est valable pour une année…» (alors là, on est dans le haut de gamme. Ça m’a scié), comme si j’avais conclu tout bonnement un abonnement. Ah! bon, parce que dans une année, le disparu qui n’avait plus d’adresse terrestre pourrait, à la date imprimée sur le document postal, miraculeusement quitter son cosmos et réapparaître en chair et en os à son domicile? Non! Ça veut simplement dire que, si par hasard, du courrier est encore envoyé au défunt au-delà de l’échéance, le citoyen-
gogo devra, à nouveau, s’acquitter d’un émolument de 42 francs (ou plus, on ne sait jamais avec les tarifs postaux) afin que le réacheminement soit reconduit pour une année, et ainsi de suite. Bien évidemment puisque le document précise bien, en en-tête, que la demande est… temporaire. La mort, elle, ne l’est pas. Ô tempora, ô mores!
Jean-François Aubert
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