Je mets des pantalons amples, plusieurs couches de pulls, ça va du pull à courtes manches à la veste genre doudoune et de bonnes chaussures, des chaussures tous terrains comme je les appelle; surtout ne pas oublier ma casquette, mes lunettes à soleil et ma crème solaire.
Après un déjeuner copieux, car la journée risque d’être rude, je prends ma voiture et descends en plaine, descendre oui, car je pars de la Vallée de Joux pour me rendre au collectif de la ferme du Joran à Orbe. Mon fils m’accueille avec un salut Corinne, un bon câlin et m’invite à prendre le café. Je fais le tour de la table dressée à l’extérieur sous le couvert du local et touche la main à toute cette équipe. Salut, je suis la maman de Youri. Bienvenue, assieds-toi là. Je me retrouve attablée avec des trentenaires, «dire que je pourrais être leur mère».
Cela me fait un bien fou, de me retrouver au milieu de cette équipe dynamique et unie en ce jour dans un projet commun.
Les responsables du jour ont besoin de deux personnes pour faire la cuisine, je me porte volontaire. C’est ainsi que je me retrouve avec une jeune fille de Lausanne qui se trouve là, parce que l’amie de son amie lui a parlé du chantier collectif, rencontre improbable, mais riche…
Riche, parce que nous ne nous connaissons ni d’Adam ni d’Eve… et nous nous retrouvons là à devoir cuisiner pour une vingtaine de personnes avec une batterie de cuisine assez sommaire, dans un local froid et ouvert sur l’extérieur. Cette large ouverture sur l’extérieur, fait le bonheur des hirondelles, qui vont et viennent dans le seul but de nourrir leur progéniture.
Nous nous retrouvons seules, nous faisons rapidement l’inventaire des armoires, ce n’est pas Bizance… mais ces armoires nous dévoilent des trésors: des produits du terroir, de nombreuses épices ainsi que du tofu made in here!
Bon qu’est-ce que tu as envie de faire? Des lentilles aux légumes épicés au?? Nous nous mettons à humer les différents flacons, il me semble que c’est un bon mélange pour cette recette. OK
Nous nous mettons tout de suite au travail: nous lavons, nous épluchons, nous coupons en petits morceaux, nous hachons; après plusieurs essais, nous arrivons enfin à enclencher la cuisinière à gaz; nous faisons suer toute cette montagne de légumes! Nous ajoutons de l’eau, les lentilles et les condiments.
Nous discutons… en fait peu, car Annie n’a pas une vie facile et ne veut pas s’étaler là-dessus. J’essaie d’aborder d’autres sujets, mais je crois qu’elle aime particulièrement bien le silence… entrecoupé par le chant et le pépiement des hirondelles. Le silence me va bien aussi: être présente dans l’action: contempler les allées et venues des hirondelles qui sans-gêne me passent au-dessus. Goûter aux premiers rayons du soleil… J’enlève une couche, ma doudoune. Annie me propose de s’occuper de la salade, la préparation de sa sauce est tout un art, elle me demande mon avis, oui, c’est très bien ainsi. Nous dressons la table, mettons des pots d’eau, du fromage pour les omnivores.Voilà qu’ils arrivent pour le repas, ils ont faim… le début du repas se passe en silence; ils ont l’air d’apprécier, ils en redemandent! Annie dévoile les ingrédients de sa sauce à salade goûteuse. Youri se lève pour préparer les cafetières italiennes et sortir les plaques de chocolat… C’est à ce moment que les langues se délient autour de la politique agricole et de certains films comme: «Révolution silencieuse» «Demain» «Jura, enracinés à leur terre». Du personnage Pierre Rabhi et de la firme Monsanto. Dans un respect que beaucoup envierait, chacun s’exprime à tour de rôle… Quelques personnes se lèvent pour entreprendre la vaisselle à l’eau froide s’il vous plaît! et nul besoin d’essuyer, le tout est posé sur des supports où le temps aura soin d’égoutter et sécher tout cet attirail.
L’après-midi
En empruntant le petit chemin qui mène aux cultures, je découvre Annie assise, le nez dans un livre, elle me dit: que travailler la terre ne l’enchante guère! Alors, je lui propose spontanément de nous faire la lecture, elle me prend au mot et nous continuons, toutes les deux à gravir la petite colline.
C’est moi, qui vais suer cet après-midi; mon nouveau quartier se trouve, sous une serre et en plus, il fait un soleil de plomb! J’enlève une seconde couche et mets ma casquette et ma crème solaire.
Je vais batailler avec toute une armée de plantons de tomates. Les trous sont faits, je dois mettre un mélange d’ortie et de consoude au fond du trou et casser cette terre compacte pour entourer délicatement ce planton qui sera porteur de beaux fruits: rouges, verts, noirs, aubergines, jaunes, oranges; enfin, je l’espère… Annie nous suit dans notre travail avec son livre entre les mains et le texte sort de sa bouche avec précision, ce qui n’empêche pas… mes pensées d’aller vagabonder! «Cet Hervé Joncour a de l’audace de partir ainsi au Japon en 1860 depuis la France pour aller chercher des œufs de vers à soie et ceci avec un flegmatique ou un sang-froid incroyable, enfin il me semble!?» je me dis déjà qu’il faudra que je le (re) lise!
A la pause, je vais m’enquérir de l’auteur: Alessandro Baricco et son titre: Soie. Ah oui, de ce même auteur, j’ai lu: Novencento, que j’avais beaucoup aimé. Le travail reprend, bercé par la lecture d’Annie, tout le monde a l’air d’apprécier et j’ai hâte de connaître la suite de ce roman, mais en attendant…. Je suis accroupie, je mets le mélange au fond du trou (ortie, consoude) je pose le planton, je casse cette terre compacte, je mets cette terre autour du planton, je me redresse, puis j’avance un peu et je recommence… Ainsi passe l’après-midi entre terre et imaginaire!? De la dernière page de ce roman, je garde cette phrase: «Le reste de son temps s’écoulait dans une liturgie d’habitudes qui réussissait à le défendre du malheur.»
Il est temps de se poser pour boire une bière et manger des gâteaux, c’est un véritable cadeau après une journée de labeur…
Je les embrasse tous et eux me remercient pour mon aide, je leur réponds: avec plaisir… plaisir, de travailler dans ce projet qui, enfin, se concrétise et dans lequel, ils s’investissent à fond. Ce soir-là, je me suis couchée fatiguée…contente d’en connaître la raison!
Et depuis… lu pour vous dans le 24 heures
• Reconnu par les Retraites populaires, la Ferme du Joran reçoit 50’000 francs. Elle fait partie des trois projets retenus par les Retraites populaires. «ce prix permet de pérenniser un projet collectif et soutient l’agriculture durable et de proximité. C’est important pour que l’agriculture reste un métier d’avenir.» Septembre 2017
• Les rafales d’Eleanor ont tailladé quatre de ses huit tunnels maraîchers, construits l’automne dernier avec l’aide d’une septantaine de bénévole. Janvier 2018
• Les cultures pansent leurs plaies après la tempête. «Nous avons reçu plus de 15’000 francs de dons et nous avons déjà organisé trois semaines de chantier avec l’aide d’une vingtaine de personnes. Janvier 2018
Corinne Rochat