«C’est lorsqu’il est dans le Bien que le Mal est le plus pernicieux», écrit Elie Wiesel dans Le temps des déracinés. Ainsi en va-t-il de nos libertés: on les peut restreindre en invoquant des raisons qui paraissent admirables.
Foin de théorie et d’envolées philosophiques. Restons les pieds bien posés sur cette terre où, bien qu’entravés de chaînes, nous dansons encore nos bals masqués et du Mal pernicieux caché dans le Bien, dénichons quelques exemples.
Nous attendons, en 2022, la vignette autoroutière électronique. On l’élira puce de l’année, puisqu’elle nous affranchira d’avoir à coller le sésame sur le pare-brise… et nous évitera les crises de nerfs au moment de le retirer. Voilà pour le Bien… occultant toutefois le prix à payer, à savoir un inéluctable traçage. Car il faudra bien que la puce se fasse reconnaître par quelque machine, ne serait-ce que pour l’encaissement des quarante francs obligatoires. Qu’importe, répond l’optimiste. Nous sommes de toutes façons tracés: nous roulons portable en poche et GPS frétillant… et nos voitures sont parfois équipées d’un système d’appel au secours, capable de les localiser en cas d’accident.
Est-ce vraiment gênant? poursuit l’optimiste. Bien-sûr, le portable ou la puce-vignette pourraient aussi permettre à la Police de mesurer le temps mis à parcourir une portion de route… et donc notre vitesse. Et alors? Belle économie fiscale à la rubrique des radars, n’est-ce pas? Et puis le portable, – mais pas la vignette – c’est aussi la possibilité d’appeler au secours si l’on se tord la cheville au cours d’une randonnée. Que l’on puisse en tout temps savoir où je me déplace, comment et à quelle vitesse, oui, c’est gênant – un peu – mais tellement pratique!
Il se murmure aussi que 2022 serait l’année de naissance du carnet de santé numérique: on devrait y enregistrer, dûment centralisées, toutes les informations sur le fonctionnement de nos carcasses et les preuves de nos vaccinations. Oh! Ce ne sera qu’une toute petite carte, une puce de plus, qu’il suffira de présenter à l’entrée d’un concert ou à l’aéroport. Et peut-être même à la messe! On nous garantit le secret de la confession. Aucun accès, disent-ils, pour les hackers, même ceux qui en ce moment mettent la pagaille dans les machines de SolarWind. Et puis, c’est promis, ni les nez étatiques, ni les fouines administratives n’iront renifler vos données. Ni votre employeur, ni votre assureur. Comment ne pas s’incliner, tout rassuré, devant la «candeur éblouie du scientifique»
(C. Bobin)?
L’optimiste reconnaît que c’est tout de même gênant – un peu – de savoir qu’il y aura forcément des gens capables, légalement ou non, de connaître l’état de nos artères, nos excès de sucre, de poids et d’alcool mais aussi si notre vaccin Covid est un classique à la chinoise (Sinovac ou Sinopharm), une bouillie d’ARN (Pfizer, Moderna) ou un brouet de vaccin à vecteur (Astra-Zeneca, Merck, Johnson, Spoutnik V)…
oui, c’est gênant, mais tellement pratique!
Ainsi instille-t-on, par petites doses, la conviction que le pratique et l’économie valent bien qu’on leur sacrifie quelque lambeau de liberté. Pour l’optimiste, le pratique – souvent une forme de paresse –, l’efficace et l’économique passent avant toute autre considération.
Petites doses de vaccin liberticide aussi avec les confinements passés et à venir: au fond, ce n’est pas si grave de devoir rester chez soi. Evidemment, c’est gênant – un peu – de ne pas pouvoir gagner sa vie, voir ses amis, embrasser sa vieille mère mourante à l’EMS mais c’est tellement pratique pour endiguer la transmission d’un virus… ce qui, soit dit en passant, n’est guère démontré, puisque ce sont les pays les plus lestes à confiner qui comptent le plus de décès attribués au Covid!
Le Mal caché dans tout ce Bien, c’est évidemment le sacrifice, ou une forme de mise en examen de nos libertés, lesquelles expriment – ou exprimaient – le caractère sacré de la personne humaine.
Il y va, de fait, de l’intimité à laquelle la pseudo-vertu de transparence a depuis longtemps réglé son compte.
On a déjà renoncé à l’intimité. Les vieux y tiennent encore un peu. Les jeunes ne s’en occupent guère: «Qu’importe si sur les réseaux je m’épands, si l’on me trace en mes mouvements, si l’on sait de par le monde entier ce que j’achète, lis ou mange, si l’on s’avise de qui m’aime ou me hait. Je n’ai rien à cacher.»
J’ai souvent écrit que la transparence, c’est l’intimité commise au trottoir, avec des proxénètes qui savent parfaitement tirer avantage de notre mise à nu.
Le plus embêtant, dans cette affaire, c’est qu’au prétexte d’une prétendue efficacité, on se mette gentiment – par petites doses – à faire l’impasse sur la personne humaine, son habeas corpus comme le rappelle Madame Suzette Sandoz dans sa réflexion parue dans Antipresse 266.
La personne – que Vladimir Lossky définissait comme l’irréductibilité d’un être à sa nature – se rabougrit au seul individu, pierre froide dans la construction du grand tout collectif. Demandez leur avis aux quelques Chinois dont les neurones n’ont pas encore grillé sur les barbecues de la surveillance généralisée!
«Ah! Si tu pouvais distinguer toutes les bêtises qui dans un esprit finissent par faire de très belles choses et toutes les belles choses qui entrent dans la composition de telle bêtise ou de telle autre!», écrivait Paul Valéry dans le tome deux de ses «œuvres».
Voilà le bête et le beau inextricablement liés. Ainsi en va-t-il du totalitarisme rampant qui, par petites doses, infecte nos vies: on voit ces belles choses que sont la santé, la sécurité, le principe de précaution, la solidarité, le partage – et ce sont effectivement de belles choses – sans s’aviser des bêtises qui se cachent dans la facture finale.
Une facture au bas de laquelle figure, en caractères minuscules, un taux de TVA de quelques milliers de pour-cent. TVA: Taxe à la Valeur Amputée!
J.-D. Nordmann
L’Abbaye