
Certains jours, le lac de Joux rappelle, à s’y méprendre, un paysage de Scandinavie, de sorte que l’on ne sera guère surpris de pouvoir admirer bientôt, tirée sur la grève, une embarcation typique, tout droit venue de l’âge viking…
Le terme de Viking
Sans rien de commun avec l’aryanisme frelaté d’un Vacher de Lapouge ou d’un Gobineau, le terme de viking désigne un modus operandi, probablement issu de la locution en vieux norrois fara i viking, laquelle signifie : « partir en expédition, dans le propos de s’enrichir, que ce soit par le commerce ou par la guerre de raids ».
– Si le terme de viking évoque les peuples scandinaves ayant usé de telles pratiques, c’est alors vulgairement et par connotation.
La réputation de barbarie faite aux Vikings tient, pour beaucoup, au saccage de l’abbaye de Lindisfarne, dans le nord de l’Angleterre, perpétré le 8 juin 793 ; du traumatisme, probablement intentionnel, qu’il occasionna collectivement, la trace est rapportée, a posteriori, dans The Anglo-Saxon Chronicle. On aurait tort pourtant de réduire les Vikings à des hordes de pillards sanguinaires ; ce furent aussi des navigateurs hors pair, des découvreurs intrépides, capables d’adaptation et d’innovation, servis dans leurs entreprises par une maîtrise incontestable en matière de conception et de construction navales.
La répartition des aires d’influence Viking
Pendant des siècles, les échanges entre Orient et Occident se sont effectués par la Méditerranée ; à partir du VIIIe siècle, cependant, en raison de l’expansion arabe, les voies de communication se sont déportées au nord, vers la Baltique, la mer du Nord, l’Atlantique, mais aussi en direction de l’est, empruntant le cours des grands fleuves : Danube, Dniestr, Dniepr, Don, Volga.
Les Varègues (ou Vikings suédois) s’installèrent dans la région de Novgorod, puis fondèrent la Rus’ de Kiev (ou l’État de Kiev), tandis que les Danois et les Norvégiens écumaient l’Atlantique nord, touchant l’Islande, le Groenland, le Vinland (l’Anse aux Meadows, à Terre-Neuve), et même le golfe du Saint-Laurent. Ils remontèrent aussi le cours de la Seine, de la Loire, de la Garonne, avant de s’établir durablement dans l’actuelle Normandie. Ils atteignirent la péninsule ibérique, franchirent le détroit de Gibraltar, pour s’implanter dans le delta du Rhône, en Camargue, poussant leurs incursions jusqu’en Étrurie, (l’actuelle Toscane).
L’expertise en matière de construction navale
Quelle qu’en soit la taille, une embarcation viking est immédiatement reconnaissable : amphidrome, elle présente une symétrie de formes entre les parties avant et arrière ; sa construction est dite à clin, en ce que les bordés se recouvrent partiellement, en « tuiles ».
La distribution symétrique des formes et des volumes offre l’avantage pour lequel l’assiette longitudinale de la carène ne se trouve guère modifiée, lorsque la voile est hissée, et que le bateau gîte sous la poussée du vent ; le cap est ainsi plus aisé à conserver. De surcroît, s’agissant du langskip ou « bateau long » singulièrement, (improprement appelé « drakkar »), les formes effilées de l’arrière le rendaient apte à esquiver l’impact des paquets de mer, lorsqu’il fallait fuir par gros temps ; par ailleurs, son faible tirant d’eau facilitait l’échouage et le débarquement, en opération.
Quant à la construction à clin, elle procède à l’inverse de celle dite à franc-bord, laquelle ne se généralisera qu’au début de la Renaissance. Tandis que la construction d’une coque à franc-bord consiste en l’assemblage d’une ossature que viendra revêtir une suite de bordés juxtaposés et jointifs par leurs chants – mis bout à bout, ils composeront les virures -, la construction à clin consiste à superposer partiellement les bordés, et à les fixer entre eux par rivetage. Au fur du montage, la symétrie des formes est vérifiée grâce à une série d’étançons provisoires, disposés « en toit » ; elle sera maintenue, in fine, par quelques renforts internes ad hoc, un peu à la manière de trabécules osseuses.
Quasiment autoporteuse, la forme générale d’une embarcation viking est prédéterminée par trois paramètres : la longueur de la quille, toujours d’un seul tenant, en forme de « T » ; le profilé des deux étraves (avant et arrière), elles aussi, d’un seul tenant, préalablement entaillées pour que viennent s’y loger exactement les bordés ; enfin le tracé des bordés. Tout à la fois solidaires de la quille et des deux étraves, les bordés premièrement posés adoptent une courbure gauche, qui, de proche en proche, va se répercuter à l’entier du bordage. Le bord supérieur du bordé mis en place est rectifié au rabot, et aminci, en vue d’augmenter la surface de contact qu’il partagera avec le bordé suivant.
Vieille de plus de mille ans, cette technique de construction navale a conféré aux embarcations vikings des qualités de légèreté, d’étanchéité, de flexibilité structurelle, et d’efficacité.
– Sans parler de la pureté de leurs lignes.
François Mastrangelo