«Danser sous la pluie» avec Catherine Rénier

Avenir de l’horlogerie et de la formation horlogère, ouverture au grand public d’un musée.

Avenir de l’horlogerie et de la formation horlogère, ouverture au grand public d’un musée au cœur même de sa manufacture et adaptabilité: Catherine Rénier, PDG de Jaeger-LeCoultre, nous a reçus le 25 juin au Sentier. Interview.

BONJOUR, CATHERINE RÉNIER. COMMENT SE PASSE LA REPRISE?

La manufacture a été ré-ouverte étape par étape à partir de fin avril. Nous avons repris une activité très ciblée afin de garder une présence et répondre aux besoins ponctuels dans le monde. Aujourd’hui, tous nos points de vente sont ouverts et la manufacture reprend une activité plus soutenue. Nous allons continuer pendant l’été et ré-accélérer en septembre. 

Mais cela reste une période de grande incertitude. Nous évaluons toutes les semaines comment gérer les prochaines étapes, quel projet rouvrir, quel projet relancer au fur et à mesure. Cela va encore nous prendre plusieurs semaines pour nous assurer que les mesures sanitaires soient respectées à tous les niveaux.

C’est une gestion collaborative, on discute énormément en comité de direction sur les priorités à donner. Une équipe sanitaire a été sur le pont afin de rouvrir et de monter en puissance comme on a pu le faire

VOUS AVEZ EN QUELQUE SORTE ENTRE VOS MAINS LE SORT DE NOMBREUX COLLABORATEURS ET FAMILLES, AVEZ-VOUS RESSENTI CELA PLUS FORTEMENT CE PRINTEMPS?

Il n’y avait pas besoin du bouleversement de ce printemps pour ressentir cette responsabilité! Heureusement, Jaeger-LeCoultre est une maison avec des valeurs humaines très fortes. Il y a dans ces lieux un ancrage très profond. Nous nous sommes vraiment attelés, pendant le confinement, à maintenir la proximité avec nos équipes et au sein de ces équipes.

Maintenant, j’ai géré cette charge en étant pragmatique. J’ai confiance en Jaeger-LeCoultre dans ses atouts, dans ses produits, dans ses équipes, dans sa capacité de créativité et d’innovation, tout cela n’a pas été ébranlé; on sait que la maison est forte, qu’elle a une offre et beaucoup à partager avec le public. Voilà la donne de base. Quand les bouleversements arrivent, cela rassure au quotidien, parce qu’on sait pourquoi on se bat et dans quelle direction on souhaite aller et emmener les équipes.

VOTRE APPUI, C’EST DONC LA LONGUE TRADITION DE JAEGER-LECOULTRE ET SES VALEURS.

C’est cela. J’ajouterai le fait de travailler de manière plus rapprochée avec le comité de direction. Car nous avons dû traiter des questions que nous n’avions jamais eu à traiter auparavant: comment travailler à distance, comment gérer la réouverture, des problèmes sanitaires, des magasins fermés et beaucoup d’incertitude. Nous avons des experts dans chacun des domaines. Je suis fière au final de la manière dont nous avons géré la situation. La raison, ce sont nos valeurs fortes, de travail, de communauté, de créativité. 

Dans ce contexte, il faut aussi se projeter et aller de l’avant, pour ne pas s’arrêter net et attendre que l’orage s’arrête. Non! Notre mot d’ordre a été «danser sous la pluie». Concrètement, il faut savoir se réjouir des petits succès d’aujourd’hui pour célébrer la capacité de la manufacture à rouvrir très vite, à mener nos équipes, à garder cette proximité, à rassurer nos clients, à lancer nos nouveautés sans salon de l’horlogerie: voilà pour moi nos «danses sous la pluie» des derniers mois.

«DANS CHAQUE CRISE, DES INNOVATIONS». D’AUTRES MANUFACTURES ET D’AUTRES SECTEURS PROFESSIONNELS ONT DÉVELOPPÉ LE TÉLÉTRAVAIL ET LA DIGITALISATION. J’IMAGINE QUE JAEGER-LECOULTRE A SUIVI LA TENDANCE…

Nous avions déjà du télétravail avant le confinement, depuis l’an dernier, mais de manière ponctuelle et sur une base volontaire. Nous avions anticipé un certain nombre de choses au niveau de nos fonctions administratives, mais c’est vrai que le confinement a été un accélérateur inattendu. Nous avons imaginé aujourd’hui maintenir la possibilité du télétravail, afin de soutenir un équilibre que certains collaborateurs on pu trouver; d’autres ne se sont pas attachés au télétravail et reviendront totalement en présentiel.

Il y a aussi eu, vous avez raison de le relever, une accélération des prises de parole digitales, des films publicitaires et de lancement de produits en ligne. Nous avons aussi beaucoup réfléchi à la manière de communiquer avec nos clients, de mieux les connaître et de répondre à leurs attentes, d’autant plus qu’ils vont moins voyager. Rien de tout cela n’était foncièrement nouveau, mais il y a une accélération marquée de ces techniques.

LA DIGITALISATION N’EST POURTANT PAS UNE ÉVIDENCE DANS LE DOMAINE HORLOGER. COMMENT CONJUGUEZ-VOUS LA DISTANCE PHYSIQUE ET LA NÉCESSITÉ TANT DE FOIS ÉVOQUÉE, POUR LES CLIENTS, DE «TOUCHER» LE PRODUIT ET D’ÊTRE PROCHE DU PRODUCTEUR?

Tout est question d’équilibre. Au début du confinement, nous avons eu la chance de lancer les «3D» de certaines de nos nouveautés. J’entends par là que nos clients pouvaient découvrir en 3D la montre sur leur écran. Est-ce que cela remplace le fait de l’essayer à son poignet? Non. Mais est-ce que ça aide à la décision, à la compréhension? Oui!

En parallèle, nous ouvrons notre manufacture comme jamais. Dès le 1er juillet, des visites permettent d’entrer au cœur de l’action et s’ancrer dans l’essai, la découverte, l’immersion. (Lire encadré) 

Vous voyez que nous avons travaillé dans deux directions aux antipodes ces derniers mois: à la fois un outil de vision 3D et des visites physiques. C’est une image des équilibres à venir. 

Nos clients trouveront eux aussi leur équilibre, qu’ils veuillent venir au cœur de la manufacture ou au contraire, vivre cette expérience depuis leur salon; ils auront les outils.

VOUS VOUS OUVREZ À DES VISITES COMME JAMAIS, C’EST UNE NOUVEAUTÉ. QU’EST-CE QUI VOUS Y A MENÉ?

Les visites ont commencé dans les années 90, ponctuellement. La manufacture a toujours été un lieu ouvert à des clients, passionnés ou à nos équipes. Sur rendez-vous ou sur invitation, nous accueillions plusieurs milliers de visiteurs par an. 

Nous voulons aujourd’hui aller plus loin, ouvrir nos portes de manière organisée à des curieux, à des groupes de visiteurs, sur rendez-vous aussi, mais beaucoup plus régulièrement.

Nous préparons aussi des visites thématiques, beaucoup plus approfondies, sur des sujets tels le son, par exemple, un des grands-savoirs de la maison; ce sera pour dans quelques mois.

ET QUEL EST LE BUT RECHERCHÉ?

Nous aimons partager notre savoir-faire, l’expliquer et le transmettre; cela fait partie de nos valeurs et de notre identité. Je pense foncièrement que cela fait partie de notre devoir de grande maison horlogère – aussi pour préserver ces savoir-faire, en les ancrant dans le temps et dans la pérennité. Nous espérons que des jeunes viendront découvrir une des industries majeures de notre pays et La Vallée.

Aux touristes, nous permettrons de partager à la fois les beautés de nos paysages et de notre manufacture.

LA FORMATION, CERTAINS LA VOYAIENT SACRIFIÉE AU DÉBUT DU CONFINEMENT, QUAND ON IMAGINAIT DES SCÉNARIOS DU PIRE.
CE N’EST DONC PAS LE CAS, VOUS AUREZ DES APPRENTIS À LA RENTRÉE?

Ils seront plus de vingt-cinq effectivement, dans trois filières: horlogerie, micro-mécanique et la filière qualité, nouvelle. Nous continuons d’investir dans la formation, pas seulement des jeunes, mais aussi la formation continue. Nous venons de nommer un responsable de la formation et des apprentis, qui a dix ans de maison, qui a repris cette activité il y a un mois.

TERMINONS PAR UN PEU DE FUTUROLOGIE. COMMENT SE PRÉSENTE SELON VOUS L’AVENIR DE L’INDUSTRIE HORLOGÈRE?

La boule de cristal est toujours à côté de moi (rires). Cela fait partie de mon rôle de pouvoir me projeter, d’anticiper. Je dirais qu’aujourd’hui, les derniers bouleversements n’ont pas rendu cette partie plus simple, au contraire! Ce qu’on sait, c’est qu’il va falloir passer encore un hiver avec beaucoup de questionnements. J’espère qu’on en saura davantage, au niveau sanitaire, dans une année.

En tous les cas pour nous, l’avenir passe par une contribution à l’innovation horlogère. En tant que maison qui a déjà vu passer 187 années et surmonté d’autres crises, ce qui l’a fait grandir, ce sont les gens, d’une part et sa capacité à communiquer et à continuer d’investir, d’autre part – dans la recherche, le développement, l’innovation. On a un très beau programme pour 2021, des nouveautés et des grandes complications qui viendront, j’espère, faire parler de la maison et de sa force. 

L’agilité est un autre aspect d’avenir. Nous faisons des projections beaucoup plus régulièrement et nous sommes en permanence dans la revue de nos propres projections, afin d’être prêts à répondre à la fois à une accélération possible et à de nouveaux ralentissements. 

Ce printemps nous a montré que nous savons gérer des mesures sanitaires, une production, nos magasins ouverts. Nous sommes encore plus forts aujourd’hui qu’il y a quelques mois.

D’ORES ET DÉJÀ OUVERT

Logée au cœur des anciens bâtiments de la manufacture, là où Antoine LeCoultre a commencé son œuvre, se trouve une Galerie du Patrimoine. Ouverte en 2007, occupant plus de 500 m2, celle-ci célèbre le savoir-faire et l’historique de la plus grosse manufacture combière. On y trouve les archives, les produits qui ont marqué leur époque, une saisissante exposition de calibres, suspendus à des filins verticaux tout autour d’un monumental escalier métallique en colimaçon menant à l’atelier de restauration. Les groupes pourront ensuite visiter d’autres ateliers: grandes complications, métiers rares et les fameuses Atmos.

Pratiquement: visites les matins, par groupes de huit, payantes.
Réservation et inscription uniquement en ligne sur le site de Vallée de Joux Tourisme