Une grève générale a eu lieu le 24 mai sur tout le territoire palestinien afin de soutenir la grève de la faim décidée par 1500 détenus condamnés pour faits de terrorisme ou de résistance à l’occupation israélienne. La tension était déjà palpable la semaine précédente. J’assiste à une manifestation le 13 mai à Naplouse dénonçant la Naqba (la catastrophe) de 1948 consécutive à la guerre d’indépendance d’Israël où des centaines de milliers de Palestiniens furent déplacés ou obligés de fuir en Jordanie, Syrie et Liban. Des écoliers sont présents, porteurs de drapeaux, ainsi que de nombreuses épouses et mères de détenus. Un homme porte une vieille clé qui appartenait à ses parents; cette clé c’est le symbole de la maison abandonnée sous la pression des armes. On m’offre du thé, les gosses réclament des photos, une jeune journaliste se fait mon interprète pour converser avec les épouses et mères des détenus. Peut-on dénier à un peuple le droit de posséder un Etat? Peut-on continuer l’occupation militaire d’une partie de cette terre? Peut-on accepter de voir son territoire grignoté année après année par des colonies? Et, surtout, peut-on vivre dans l’humiliation au quotidien, cette humiliation que l’on lit sur les visages et les dos courbés?
Je reverrai ces femmes à Hebron, à Bethlehem tenant le portrait de leur époux ou fils. Elles ont le visage résigné mais elles tiennent à s’unir pour maintenir un espoir ténu. L’une d’elles a deux fils, l’un condamné à la prison à vie, l’autre à 8 ans. Que revendiquent les grévistes? La fin des longues périodes d’isolement, une meilleure alimentation et, surtout, de nettes améliorations des conditions de visites autorisées une fois par mois. La visite des proches relève du parcours du combattant. C’est le CICR qui organise le transport mais il faut au préalable obtenir la permission des Autorités israéliennes; puis il y a les points de contrôles à franchir et ensuite les attentes aux prisons avant de voir le détenu 45 minutes. A Hebron, dans le souk, la situation est toujours hallucinante. Peu après la guerre de 1967, des Juifs ultra-orthodoxes investirent le vieux quartier situé près du Tombeau des Patriarches où serait enterré Abraham. Imaginez une ruelle bordée d’échoppes appartenant à des Palestiniens et, juste au premier étage, des colons protégés par tout un bataillon armé et casqué. Pour corser le tout, ils prirent l’habitude de lancer pierres et déjections humaines dans la ruelle pour en chasser les commerçants.
Un grillage a été posé et, depuis le bas, on se sent comme des singes en cage. Je rencontre deux amies, Leila et Nawal, qui avaient tenu bon alors que la majorité des commerçants avaient fini par abandonner le quartier. Ce sont des figures respectées à Hebron qui vendent de l’artisanat produit par des femmes des villages.
Autrefois proches du Front populaire de libération de la Palestine, elles aussi sont résignées. «Les touristes sont revenus, pas encore en grands nombres, mais cela aide à vivre; et ils peuvent témoigner de nos conditions d’existence». Entretien avec Musa Al-Shaer, journaliste indépendant: il évoque la situation compliquée qui prévaut sur le plan politique en Cisjordanie où le Fatah est majoritaire alors que la bande de Gaza est tenue par Hamas, parti nettement plus radical soutenu par l’Iran. Les prochaines élections pourraient inverser la donne avec une Cisjordanie passant sous influence du Hamas et Gaza revenant au Fatah. Sur le plan économique, de grandes fortunes se sont faites en raison de la corruption et une classe très aisée côtoie une majorité de pauvres. Il me cite le cas d’un père de famille obligé d’avoir deux emplois et ne dormant que 5 heures, le prix de l’eau car Israël s’en arroge la majeure partie. Quant à l’électricité, ils est interdit de se procurer des générateurs. La liste des tracasseries subies pourrait faire l’objet d’un long catalogue. A Silwan quartier arabe à deux pas de la vieille ville de Jérusalem, un permis de construire peut coûter 40’000$ etl’on n’est pas certain de l’obtenir.
Vers qui se tourner pour mettre un terme à ce confl it? L’Europe, malgré son poids économique, n’a pas de politique étrangère; éliminons Trump avec sa pensée binaire, digne d’un enfant gâté de 8 ans, venu à Jérusalem et à Riad affi rmer son soutien à Israël et à l’Arabie Saoudite «Le Bien contre le Mal»? C’est très court comme pensée politique dans le contexte si compliqué du Moyen-Orient. Faut-il alors en appeler à Abraham, père d ‘Isaac né de Sara et d’Ismël, fruit de son union avec sa servante Hagar afi n qu’ils fassent la paix sous son auguste autorité? Après tout, ils étaient tous de race sémite et Abraham est considéré comme l’un des Prophètes des trois religions monothéistes.
Jean-Yves Grognuz,
9 juin 2017

