Quel hôtel choisir? Celui qui appartient à une grande chaîne avec un confort garanti et un accueil professionnel? Ou un autre qui a marqué l’histoire semblable à un navire resté trop longtemps à quai où l’on s’y arrête par intérêt? L’hôtel Baron, à Alep, faisait partie de ceux-ci. C’était une institution où les voyageurs de l’Orient-Express faisaient étape. On imagine les femmes portant des ombrelles, les hommes cravatés, les malles innombrables. Le dernier propriétaire était fier de vous énumérer ses hôtes d’antan et leurs quelques manies. Agatha Christie y séjourna et y aurait écrit «Le crime de l’Orient- Express», Lawrence d’Arabie prenait toujours la chambre 202 et Charles de Gaulle y fit une courte halte. Le Baron, c’est l’histoire d’une famille arménienne en voyage de pèlerinage pour Jérusalem et qui construisit l’hôtel en 1909; c’est le petit-fils, Armen Mazioumian, qui en fut le dernier propriétaire jusqu’à son décès en 2005. Il portait beau, était fier de perpétuer cette riche tradition hôtelière alors que l’hôtel avait perdu son prestige; en fin d’après-midi, il aimait faire le tour du quartier au volant de son américaine. En été 2003 il n’y avait pas grand monde au Baron. Les horloges s’étaient arrêtées au temps de sa splendeur et les affiches de l’Orient-Express avaient jauni. La réception en bois patiné ne comportait qu’un téléphone hors d’âge et les ventilateurs tentaient de donner un peu de fraîcheur dans les chambres. C’est au bar, en fin d’après-midi qu’il fallait aller, point de rencontre des vieux notables où la bière était servie glacée.
Lors du siège de la ville en décembre 2016, la veuve d’Armen Mazioumian ouvrit ses portes aux sans-abris. Un geste de grande humanité salué par la presse.
«Select hotel» à Amman en Jordanie loin de l’agitation du quartier commerçant: certes il n’avait pas le prestige du Baron mais peut-être fut-il plus «sélect» il y a bien des décennies… Là un petit jardin ombragé, des murs défraîchis avec des tentures bédouines et, dans un coin, un central téléphonique hors service qui ferait le bonheur d’un brocanteur. Quant au propriétaire, son âge ne lui permettait plus d’envisager l’avenir; il s’en tenait au temps qui passe et égrenait ses souvenirs. Avec lui, c’était ouvrir un livre d’histoire contemporaine du royaume jordanien. Il fallait le laisser parler, attendre qu’un garçon vienne lui servir son thé. Il me parla de l’assassinat du roi Abdallah en 1951 par un fanatique à la sortie de la mosquée d’Al Aqsa à Jérusalem, des intrigues du palais, de la situation des réfugiés palestiniens.
En contrebas stationnaient les taxis collectifs, d’increvables Mercedes. Pour une poignée de dollars, à très vive allure et le doigt sur le klaxon, les chauffeurs nous embarquaient pour Damas, Bagdad, Beyrouth. Les taxis ont rendu l’âme comme ce Moyen- Orient fracturé par des turbulences dont on ne voit pas les issues.
Jean-Yves Grognuz, 17.08.17
