Relancée en 2010 après plusieurs décennies de dormance, la marque française rejaillit sur les podiums avec, à sa direction artistique depuis janvier 2017, le Suisse Serge Ruffieux.
Que fait un enfant de 10 ans avec des Playmobil? Il joue aux cow-boys, aux Indiens, voire aux pirates. Sauf Serge Ruffieux. A l’âge où les gamins se prennent pour Butch Cassidy ou Barbe-Noire, lui préfère enfiler le costume d’un grand couturier: Yves Saint Laurent. Les figurines de plastique, il les pose en rangs serrés sur des cartes à jouer et reproduit au stylo noir le logo YSL. Mieux, il photographie cette petite mise en scène. De sorte que trente ans plus tard, alors qu’il évolue dans le gotha de la couture parisienne, fraîchement nommé à la direction artistique de la maison Carven, personne ne doute que sa passion de la mode ait été nourrie dès le berceau, ou presque.
Serge Ruffieux est né en 1974 à la Vallée de Joux. Il s’évade en dévorant les magazines de mode, Glamour, Vogue. Lui-même en crée un, Cocktail, qu’il vend à ses voisins. Alors que l’horlogerie emploie son père, la couture occupe sa mère, sa grand-mère et surtout sa tante, Clémentine, qui œuvre chez Elsa Schiaparelli. Le garçon se met aussi à coudre des mouchoirs dont il fait des robes. Pas l’ombre d’une hésitation à l’horizon. Le jeune homme sait ce qu’il veut et part apprendre le métier, à Nyon où il devient couturier pour dames. Puis il intègre la filière stylisme de la Haute école d’arts appliqués à Genève, qui deviendra la HEAD. C’est là qu’on le retrouve un soir d’octobre, pour le récit de ce parcours guidé par l’évidence, qui de Genève naturellement le mène à Paris. Le Suisse y fait sa place, de stage en stage. Il reste cinq ans auprès de Sonia Rykiel. Au terme de neuf mois et 15 entretiens, un soir de Noël, Serge Ruffieux décroche le graal: travailler chez Christian Dior avec John Galliano. «Lui, c’est un génie», souffle-t-il. Lorsque le successeur de Galliano, Raf Simons, quitte précipitamment la maison de l’avenue Montaigne, le Suisse propose d’emblée d’assurer la suite en duo avec Lucie Meier. Ils signent cinq collections en neuf mois. «J’ai appris le métier.»
L’heure approche pour Serge de réaliser ses rêves d’enfant. «Depuis tout jeune, j’avais envie de travailler pour une marque.» Ce sera donc Carven. Créée en 1945 par Carmen de Tommaso -qui s’est ensuite appelée Marie-Louise Carven-, cette maison de haute couture, flamboyante dans les années 60, a ensuite connu un ralentissement. Après plusieurs années de dormance, elle est réveillée en 2010. Depuis janvier, Serge Ruffieux en est le directeur artistique, menant Carven de nouveau sur les podiums avec une collection croisière et une première collection prêt-à-porter printemps-été (2018) présentée en septembre dernier. Les jolies petites bourgeoises fifties ont laissé la place à des filles fraîches, à l’élégance urbaine et décontractée. Carven avance, et Serge Ruffieux est le maître d’œuvre de cette aventure dont il dévoile, avec une pudique réserve, les nouveaux contours.
Serge Ruffieux aime…
Jean Colonna, créateur de mode
«Il faisait partie de mes références lorsque j’étudiais à la HEAD* de Genève. J’ai toujours été fan de son travail, de la mode rebelle et rock’n’roll qu’il proposait dans les années 1990. Je l’ai enfin rencontré l’année dernière, j’étais président d’un jury de mon école et lui était juré. Je lui ai dit à quel point je l’admirais. Depuis, il me soutient dans ma vision créative. J’aime sa franchise et son authenticité. J’ai vraiment l’impression que nous parlons le même langage.»
*Haute école d’art et de design
Mark Kean, photographe
« Mark est une étoile montante de la photographie de mode. Il me fait penser au personnage du Géant Vert avec son look de beau Viking et son esprit joyeux. Il fait maintenant partie du groupe que j’ai créé autour de moi, avec qui j’apprécie de travailler. J’aime son grain de photo, à la poésie crue et urbaine. Lors de mon premier défilé, on lui avait donné carte blanche pour photographier le show. Il a fait une série sublime, digne d’un grand magazine de mode.»
Pepe Lopez, artiste plasticien
«Nous nous sommes rencontrés lors de vacances au Venezuela et nous sommes devenus très amis. C’est un rêveur -comme moi-, un véritable inventeur. Son travail créatif, qui mêle le brut et le raffiné dans l’esprit du mouvement arte povera, m’inspire. J’aime notamment ses collages de sacs plastique récupérés qu’il redécoupe et superpose sur d’immenses toiles. Il a aussi beaucoup d’humour et une grande délicatesse d’esprit.»
Jean-Baptiste Talbourdet-
Napoleone, Directeur Artistique
«J’avais envie de travailler avec quelqu’un de jeune et de talentueux qui traduise en images ma vision de la femme Carven et, pour moi, Jean-
Baptiste incarne parfaitement la nouvelle génération parisienne. J’aime bien son côté playboy de Saint-
Germain-des-Prés, avec son physique ravageur entre Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. J’apprécie également sa réactivité. Il est vif, spontané, frais. C’est un homme pressé. »
Elodie David, styliste
«Elle aussi fait partie des nouveaux talents qui émergent dans la mode. J’aime l’avoir à mes côtés, car elle correspond à la vision que je veux mettre en place chez Carven en termes de goûts et d’affinités: celle d’une fille française d’aujourd’hui qui aime voyager. Elodie est très respectueuse de mon travail et, en même temps, précise et exigeante. Entre nous deux, c’est un jeu de ping-pong permanent.»
Jack, Le Chat
«Quand je suis arrivé à Paris, on m’a offert un chat. Il est complètement associé à ma vie parisienne et à l’univers ironique et joueur qui est aussi le mien. D’ailleurs, j’ai déjà mis un coq et un agneau sur les imprimés de ma collection, alors, pourquoi pas un chat sur la photo de mes affinités…»
Serge Ruffieux vu par…
Jean Colonna
«C’est l’un des rares créateurs que je respecte dans ce milieu. J’ai adoré sa première collection pour Carven. Tout me paraissait juste, moderne et abouti, et donnait envie de suivre cette nouvelle fille Carven.»
Mark Kean
«Serge a une énergie positive, et cela se ressent dans son travail. J’aime sa fille Carven, une «real girl» joyeuse, avec un côté à la fois innocent et effronté qui n’hésite pas à confronter robes et vestes de chasse aux coupes raccourcies.»
Pepe Lopez
«Serge est un designer conceptuel, qui comprend la mode comme un phénomène social complexe, et qui envisage la création avec une perspective dynamique de communication. Il imagine un dressing décomplexé pour une fille urbaine et romantique, prête à partir à l’aventure.»
Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone
«J’avais déjà suivi son travail lorsqu’il codirigeait la mode femme chez Dior. J’avait remarqué son sens du détail caché, cette volonté de créer un vêtement raffiné comme une pierre que l’on taille. Serge est aussi un créateur tourné vers l’avenir, qui a su s’entourer d’une nouvelle génération à qui il fait confiance.»
Elodie David
«On voit qu’il est passé par de grandes maisons comme Dior, car il excelle dans le travail de coupe et de proportion, et maîtrise les techniques des ateliers. C’est intéressant de voir à quel point il sait proposer des produits accessibles avec un vrai savoir-faire couture.»