Question:
J’exploite une petite entreprise dans le domaine du bâtiment (six à sept employés). Je fais régulièrement des devis, notamment dans le cadre des marchés publics et très souvent je n’obtiens pas la conclusion d’un contrat d’entreprise car je suis en moyenne 10 à 15 % en dessus des prix pratiqués par d’autres concurrents, parmi lesquels l’un apparaît très fréquemment.
J’ai engagé récemment l’un de ses ouvriers qu’il avait licencié pour des raisons économiques.
Mon nouvel employé m’apprend par ses anciens collègues qu’un autre ouvrier avait été engagé et à des conditions salariales moindres. Cela n’avait donc rien à voir avec des raisons économiques. Il m’apprend que ce concurrent loge son nouvel employé qui n’a pas de permis de séjour et par conséquent pas de contrat de travail valable.
Ces mêmes faits m’ont été confirmés par des tiers dignes de confiance. J’ai également appris que la personne que je viens d’engager a travaillé avec trois collègues séjournant eux aussi illégalement en Suisse.
Ceci explique certainement que mon concurrent puisse pratiquer des prix sur lesquels je ne peux m’aligner.
Que puis-je faire pour que cela cesse?
Réponse:
Le marché qui nous occupe en l’espèce est un marché de construction, à savoir la réalisation de travaux de construction de bâtiments ou de génie civil (art. 4 al.1 let. a LMP-VD). L’art. 3 al. 1 du règlement d’application de la loi du 24 juin 1996 sur les marchés publics (ci-après RLMP-VD) distingue à son alinéa 3 les travaux de gros œuvre, de ceux du second œuvre. Quatre procédures peuvent être applicables aux marchés, en fonction des valeurs-seuils en franc Suisse. Les seuils des marchés publics sont mentionnés aux annexes 1 1 a), 1 b) et 2 de l’accord intercantonal sur les marchés publics (ci-après: AIMP) (art. 4 al. 1 LMP- VD). Par exemple s’agissant de la construction du gros œuvre, jusqu’à CHF 300’000.- la procédure de gré à gré s’applique, jusqu’à CHF 500’000.- c’est la procédure sur invitation et au-delà de CHF 500’000.- c’est la procédure ouverte/sélective selon l’annexe 2 de l’AIMP qui est applicable.
On se trouve donc en présence d’un marché public cantonal ou communal-, plus précisément un marché de construction, de sorte que c’est la loi sur les marchés publics vaudoise qui est applicable (ci-après: LMP-VD). Cette loi tend à garantir l’égalité de traitement à tous les soumissionnaires et l’impartialité de l’adjudication (art. 3 al. 1 let. b LMP-VD), ainsi qu’assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 3 al. 1 let. b LMP-VD).
L’article 6 al. 2 RLMP-VD) prévoit que le soumissionnaire, en l’espèce l’entreprise concurrente dans le domaine du bâtiment, se doit notamment de respecter les dispositions relatives à la protection des travailleurs et aux conditions de travail, et en particulier aux conditions salariales. L’alinéa 4 de ce même article prévoit qu’en cas de demande, le soumissionnaire doit prouver qu’il respecte les dispositions relatives à la protection des travailleurs et aux conditions de travail et de salaire, et qu’il a payé ses cotisations aux institutions sociales ainsi que ses impôts. De plus, il doit être amené à prouver que ces conditions sont réalisées par ses sous-traitants.
Dans le cas contraire, il s ‘expose à une sanction, qui selon la gravité peut être un avertissement ou la révocation de l’adjudication (art. 14a LMP-VD, art. 44 al. 1 RLMP-VD}.
Trois possibilités s’offrent donc à vous:
La première tend à dénoncer au pouvoir adjudicateur les violations intentionnelles ou par négligence, des régies régissant les marchés publics par un soumissionnaire pendant la procédure d’adjudication ou l’exécution du contrat. Selon la gravité, l’adjudicateur sanctionnera par l’avertissement ou la révocation de l’adjudication (art. 14a al. 1 LMP-VD et art. 44 al. 1 RLMP-VD}.
La seconde possibilité qui s’offre à vous est de dénoncer le soumissionnaire exerçant dans l’illégalité, auprès de l’Autorité cantonale et intercantonale de surveillance, qui est le département des infrastructures (art. 14 al. 2 LMP-VD}. En effet, sur dénonciation, ledit département peut prononcer une amende allant jusqu’à 10% du prix final de l’offre et/ou l’exclusion de tout nouveau marché pour une durée maximale de cinq ans et l’exclusion de la liste permanente des soumissionnaires qualifiés. Il est également l’autorité compétente pour prononcer l’exclusion des futurs marchés publics au sens de l’art. 13 de la loi fédérale du 17 juin 2005 concernant les mesures en matière de lutte contre le travail au noir (LTN} (art.14a al. 2 LMP-VD}. Ces sanctions peuvent être prononcées pendant la procédure d’adjudication ou l’exécution du contrat.
Enfin, la troisième possibilité tend à faire recours contre la décision d’adjudication (art. 10 al. 1 let. d LMP-VD) en faisant valoir la violation par le soumissionnaire des régies légales, ainsi que des conditions de participation prévues dans la publication et le dossier d’appel d’offres de l’adjudicateur. Par le biais du recours, il faudra conclure à ce que la décision d’adjudication en faveur du soumissionnaire exerçant dans l’illégalité soit révoquée et que le marché vous soit en réalité attribué. Le recours doit être déposé dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision (art. 10 al. 1 LMP-VD} auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal Cantonal.
Pierre Ventura, av.
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