En arrivant à Lens, ce sont les «jumeaux» que l’on aperçoit, ces deux terrils qui peu à peu se recouvrent de végétation. On est ici dans le pays minier et le dernier puits des charbonnages de France a été fermé en 1990. Tout avait tourné autour de la production du charbon, matière première essentielle pour faire tourner l’économie; outre les corons, ces maisons de briques toutes semblables et alignées au cordeau, on trouvait les églises, les écoles, les clubs, les magasins et les estaminets avec en retrait les maisons des ingénieurs pareilles à de petits châteaux et celles des porions, les contremaîtres. A la population de souche paysanne s’étaient ajoutés des mineurs venus d’Italie, de Pologne puis du Maroc. Trop cher à extraire, ce charbon était en concurrence avec celui d’Afrique du Sud qui alimentait les aciéries de Dunkerque. Et la France, pour des raisons stratégiques, avait de surcroît opté pour le nucléaire. La région s’est alors enfoncée dans la crise et ne s’en est guère remise.
A Pôle Emploi, la grande majorité des propositions d’embauche le sont en contrats de durée déterminée. Petits boulots, petits salaires magasins du centre qui ferment au profit de supermarchés de banlieue. Au siège de la Fédération communiste du Pas-de-Calais, deux permanents me reçoivent, surpris de voir arriver «un Suisse». Le tableau qu’ils me dressent confirme mes premières impressions: taux de chômage à 15% (moyenne nationale à 9), espérance de vie inférieure de 5 ans à celle de l’ensemble de la France, désertification médicale, peu de perspectives pour les jeunes. Un militant connaît bien la politique helvétique: s’il ne porte pas un Blocher dans son cœur, il dit, ô surprise, admirer Nathanaël Rochat! Il me fait visiter les locaux, prise de guerre me dit-il, car ils furent le siège de la gestapo durant l’occupation. Même avec ses 4000 adhérents annoncés, le Parti communiste n’est plus que l’ombre de lui-même, concurrencé par le Rassemblement national (ancien Front national) dont Marine Le Pen est députée-maire de la ville voisine d’Hénin-Beaumont. Je me rends à sa permanence mais pas âme qui vive. Dans cette petite ville, il est facile de savoir de quel côté penchent les opinions: si la tenancière du bistrot voisin dit «Marine» avec affection, on m’a parlé de «La Le Pen» avec une moue de dégoût un peu plus loin.
Noir charbon cette première impression? Ce serait oublier le musée de Lens qui accueille des collections du Louvre. Le concept architectural est de toute beauté fait de verre et d’acier; la salle principale accueille des œuvres partant de l’antiquité jusqu’au XIXe siècle: une centaine d’œuvres seulement, mais des œuvres marquantes de leur époque. Et les Lensois en sont fiers, comme ils sont fiers de leur club de football, le RC Lens. Le stade a été rénové et peut accueillir 30’000 spectateurs (Lens compte 30’000 habitants). Le club a été relégué en ligue 2 mais fait actuellement bonne figure. C’est toute la ville qui vit au rythme du football, avec les tripes et le cœur, avec son lot de souvenirs. A Lens on naît supporter des «sang et or». Dommage, l’équipe jouait à l’extérieur et j’aurais bien aimé entendre la chanson de Pierre Bachelet, Les Corons, reprise en chœur au début de chaque match. Il paraît selon une fervente supportrice que cela donne des frissons. Pour l’avoir entendue à la TV, je veux bien la croire.
Jean-Yves Grognuz,
le 6 octobre 2018