La nuit tombait. Un vent froid survolait le lac. Des vagues toujours plus grandes se formaient et roulaient sur la plage. De gros nuages gris touchaient les sommets des montagnes et d’épais flocons de neige voltigeaient dans le ciel. L’hiver recouvrait les pâturages, d’habitude si verts, d’un manteau blanc.
Soudainement le lourd ciel s’ouvrit et un rayon de lumière traversa la vallée sombre, comme un éclair. Un homme remarquable apparut, tiré par un renne à pelage doux et lumineux. L’homme, assis sur un grand traîneau, portait un gros manteau en velours d’un rouge profond. Ses pieds étaient chaussés dans de grosses bottes noires et sa longue barbe blanche flottait dans le vent. D’un regard bienveillant, il parcourait la vallée. Son visage rougi par le froid se fendait d’un large sourire et ses yeux pétillaient de plaisir, content d’être arrivé après son long trajet. Cette année il voyageait léger, pas de hotte ni de cadeaux. L’homme détacha son regard du lac et fixa une grande villa un peu plus loin, en lisière de forêt. Avec la neige, on ne voyait presque plus les magnifiques plates-bandes ni l’allée qui menait à la propriété.
Malgré le froid et le ciel noir, trois jeunes enfants, ravis par la première neige et équipés de bonnets, gants et écharpes, avaient abandonné leurs jeux électroniques et sortaient en courant jouer dehors. Leurs cris émerveillés brisaient le silence de la forêt. Avec leur bonnet rouge pointu, ils ressemblaient davantage à des lutins. Ils se roulaient dans la neige oubliant pour un moment leur Gameboy.
Tout d’un coup, le frère aîné, attentif, leva la tête et observa le ciel. Ses petits frères arrêtèrent également leur jeu et suivirent son regard. Curieux, ils laissèrent leurs boules de neige et coururent en direction du portail. Les yeux écarquillés, ils virent l’homme en rouge atterrir sur l’allée. Ils se poussaient et se bagarraient devant le portail. Le vieil homme souriait en voyant l’excitation des petits. «Bonjour mes chers enfants, allez chercher un seau d’eau pour ma brave bête» tonna-t-il d’une voix grave. Les deux plus jeunes se dépêchèrent de rentrer à la maison. Essoufflés, le lourd récipient débordant d’eau entre eux, ils revinrent à la hâte. Le renne, épuisé et assoiffé, bu à grands goulots.
Entretemps, trois petites têtes se penchèrent sur le traîneau presque vide. «Où sont tes cadeaux?» gloussa le plus jeune, inquiet. L’homme en rouge prit sa petite main dans la sienne et lui demanda «me permets-tu de me reposer un peu chez vous?» Le bambin, d’un air entendu, le tira en direction de la villa où ses grands frères avait déjà conduit et attaché le renne.
A l’intérieur, un feu crépitait dans une cheminée en verre et une odeur de sapin frais flottait autour d’un arbre monté fièrement dans la pièce principale. Le tapis épais était parsemé de tablettes et de jeux vidéo. Un ordinateur portable dernier cri était posé sur la table. Une jeune femme était assise devant un écran plat gigantesque, tellement absorbée par une série Netflix, qu’elle ne remarqua pas tout ce remue-ménage.
L’homme en rouge s’assit sur un fauteuil en cuir près du sapin et prit les deux petits sur ses genoux tandis que le troisième vint vers ses pieds. Pensif, l’homme se grattait la barbe et de sa voix empreinte de gentillesse, il dit «Ecoutez mes chers enfants. J’ai décidé de ne pas distribuer de cadeaux cette année». Tandis qu’il regardait autour de lui, voyant le luxe partout, il continua «il me semble que vous ne manquez de rien et l’esprit de Noël n’est pas de faire de gros repas ni de recevoir de grands cadeaux, mais est un mélange de bonheur familial, de paix et de solidarité fraternelle».
Le plus jeune frère déçu, demanda d’une petite voix «mais tu n’as rien du tout pour nous?»
L’homme âgé fouilla dans la poche de son gros manteau rouge et en sortit un petit paquet plat rectangulaire. «Je vous offre mon premier jeu». L’aîné ouvrit prudemment la vieille boîte et en sortit de vieilles cartes usées. Curieux, d’un air interrogateur, il regardait l’homme. «C’est le jeu de familles» lui répondit celui-ci en expliquant les règles du jeu. Les garçons coururent vers la table, poussèrent l’ordinateur et commencèrent à jouer. Rapidement des rires s’entendirent dans la maison et entièrement pris par le jeu, ils n’entendirent pas le Père Noël partir sur la pointe des pieds en direction d’autres villas.
Annelize Périat-LaBruyère