Elle est située sur la montagne de la Branette, en dessus des Bioux-Dessus, à 1275 m d’altitude. On la trouve immédiatement à bise du chalet, appartenant à Henri Reymond fils de William.
Le chalet, sur la clé de voûte de la porte de l’écurie en belle pierre de taille, porte les initiales I.B. et la date de 1809. C’est un chalet parmi les plus authentiques et le mieux préservés de la région.
Sur le registre des enquêtes pour les maisons de 1837 on lit:
Berney Abram Samuel feu Jean et François Elisée feu Jaques. Es Grands Mollards, soit la pièce à Brenet, un chalet contenant 15 ½ toises. … Charpente légère mais passable, toutes les clôtures en mur, excepté une paroi entre la cuisine et l’écurie, seulement deux chambres. Juste valeur fr. 640.- 1
Malgré ces propos quelque peu dépréciatifs, une telle valeur n’est attribuée qu’à des chalets de bonne construction de cette région des Grands Mollards.
Au vu d’un ancêtre Jaques, on peut supposer que ce soit celui-ci qui ait construit la bâtisse et que le J de son prénom, ait donné le I des initiales gravées dans la pierre. Il faudrait autrement admettre que du temps de ces trois générations de Berney, l’une d’entre elles ait racheté la propriété.
La pièce à Brenet, soit la pièce à Berney, donnera plus tard le nom de Brenette qui sera transformé en celui de Branette, résultant sans doute de la manière de prononcer Brenette par les gens de la région, des Bioux en particulier.
La propriété sera rachetée plus tard par un M. de Courcel, français. En 1932 elle passera dans les mains de Jean Reymond, grand-père du propriétaire actuel, Henri Reymond, qui monte lui-même la montagne en compagnie de son fils Adrien.
Venons-en à la citerne située à bise de la bâtisse. Elle est toute en bois. Les fourrons supérieurs étant pourris, par souci de sécurité, il convenait de les changer. Dans le même laps de temps il était aussi nécessaire de nettoyer la citerne. Ce qui fut fait le jeudi 12 novembre 2020. D’une capacité de 20 m3 environ, il fallut de nombreuses bossettes de 2000 l. pour la vider.
Le nettoyage comprit ensuite un brossage vigoureux des planches ou douves latérales, ainsi que l’extraction de la boue du fond. Toute belle nettoyée cette citerne révéla un état impeccable, mis à part la bordure supérieure légèrement dégradée, avec un fond conservé quasiment à l’état de neuf. Le tout offrant un retour émouvant dans ce lointain passé où nos citerniers accomplissaient de la si belle ouvrage.
La question que l’on peut se poser est celle-ci. Cette citerne est-elle d’origine, soit de la construction même du chalet en 1809. Sans pouvoir l’affirmer, on peut le supposer, puisque en son état actuel on pourrait estimer qu’elle puisse faire encore un bon siècle sans problèmes majeurs.
Citernier, tel était le métier de ceux qui construisaient ces chefs-d’œuvre. Tentons d’en savoir plus sur ceux-ci:
Peu nombreux par la force même des choses, ces artisans (les citerniers). Une citerne durait cinquante ans 2, aussi y en avait-il quelques-unes seulement à refaire chaque année. Deux familles se livraient autrefois au Chenit à cette opération délicate: l’un au Bas-du-Chenit, l’autre au Bas-du-Crêt de l’Orient, famille de chez Abraham Capt. Mon cousin Léon (68 ans) s’aida dans son jeune temps à en construire.
Des tourillons, l’un en bas, plus fort, l’autre en haut, de plus petite taille, reliaient les douves. Celles-ci s’enchâssaient dans le «jarjau» ou rainures du fond. La tine devenait légèrement plus étroite dans le haut. Ainsi les gros cercles extérieurs pouvaient s’enfoncer jusqu’au point voulu 3.
Citerniers et fontainiers. – L’établissement des citernes de montagne et de particuliers, de fontaines de hameau et de particuliers, nécessitait une main d’œuvre spécialisée. Le métier de maître citernier-fontainier s’imposa au cours des siècles. La plupart des citerniers étaient du pays. Citons Pierre et Joseph Piguet, «citerniers», qu’un devis signale en 1791. Il nous en vint aussi de France, tel ce Bourguignon Jobé, signalé par les comptes du Chenit en 1751, et de Blangras du Dauphiné qui s’engagea à creuser, pour le compte du Lieu, la citerne du chalet Herman (1789) 4.
Grosse affaire que la construction ou l’entretien des citernes de montagne. Elles étaient fabriquées sur place 5, puis installées dans l’excavation pratiquée à cet effet. En 1710 le maître tonnelier chargé d’établir une citerne au chalet neuf des Chaumilles perçut
73 fl. Pour ses peines. Le creusage revient à une vingtaine de florins. La citerne des Grandes Chaumilles, construite l’année suivante par deux Piguet, revint à 82 fl. 6 s. 6
Grâce aux archives publiques des trois communes de La Vallée, on peut rentrer dans le détail de la construction de ces citernes. Ainsi sur la commune de L’Abbaye, du 30 avril 1803.
Conditions sous lesquelles la Régie de l’Abbaye offre de donner à tache la façon d’une citerne qu’elle se propose de faire établir sur la montagne des Croisettes.
1o L’entrepreneur devra faire la dite citerne avec le bois qui lui sera fourni sans qu’il en puisse substituer de l’autre.
2o Le bois, soit les douves, seront fournies et rendues à l’Abbaye où il sera tenu de les prendre.
3o La dite citerne devra avoir onze pieds d’hauteur de vide, et quatorze pieds de vide de diamètre, pieds de France.
4o L’entrepreneur devra l’avoir faite et rendue complètement enterrée pour le dernier jour de juin fixe.
5o L’entrepreneur devra l’enterrer, la bien serrer à dire de bon maître et garantir son ouvrage pendant l’espace de deux ans, avant quelle époque il ne sera point déchargé quoique payé.
6o Il devra prendre le bois, tant pour les liens que pour la couverture de dite citerne qui lui auront été marqué.
Après plusieurs mises, n’ayant rien pu faire ayant marchandé de part et d’autre, on a convenu avec Moyse Rochat du Pont et Charles Rochat des Bioux et Moyse Mouquin, Abram Isaac Rochat et leurs adjoints pour le prix de cinq cents & soixante cinq florins, lesquels ont promis faire la citerne et le couvert en bon maître suivant les conditions exigées dans les pages de ces articles 7.
Mais revenons à la citerne de la Branette. Celle-ci nettoyée à fond, il ne restait plus qu’à en prendre les dimensions exactes, soit 3.05 m de diamètre et 2.75 de hauteur. Et d’autre part il conviendrait de remettre la couverte constituée par des fourrons soigneusement écorcés qui, quant à eux, exposés aux intempéries, ne feront guère plus qu’une bonne décennie.
Dans tous les cas, cette citerne, dans un tel état de fraîcheur, constitue sans doute un cas unique à la Vallée de Joux, voire dans le Jura tout entier. A la voir encore si «neuve», on ne peut qu’admirer le travail des citerniers de l’époque.
Précisons encore que l’eau de cette citerne se puisait avec l’aide du balancier, dit anciennement «erbeletta», du mot arbalète, qui n’est autre que la forme de l’engin. Et que la dite eau arrivait directement du toit par des chéneaux en bois, ceux-ci par ailleurs toujours en service.
R.-J. Rochat
1 ACV, GEB 139/2, p. 70.
2 On a vu que cette durée pouvait être du double ou même peut-être du quadruple.
3 Auguste Piguet, Vieux Métier, Le Pèlerin, 1999, p. 0116.
4 Le rôle ou tableau nominatif des citoyens actifs de la commune du Chenit pour 1799, cite trois citernier: Abram feu Jacques Piguet, née en 1730; Abram feu Jean Abram Capt, né en 1733 et David d’Abram Capt 1775, ces deux derniers sans doute père et fils.
5 Sur place, A.P., plutôt en atelier, le façonnage des divers éléments de la citerne ne pouvant guère se faire ailleurs.
6 Auguste Piguet, La commune du Chenit au XVIIIe siècle, Le Sentier, 1971, p. 156.
7 Registre des tâches de la commune de L’Abbaye, 1800-1842, ACA, GBE1.