Avant-dernière usine sur la route de France,la Pierrette produit des pierres d’horlogerie en rubis synthétique. Leader dans un secteur très spécifique où elle jouit d’une forte reconnaissance, elle se fait mieux connaître des non-initiés depuis une dizaine d’années.
La complexité de la fabrication des pierres fines pour l’horlogerie n’est pas toujours connue, même des horlogers qui assemblent les mouvements. Cela est dû à la segmentation de la chaîne de production, au statut du sous-traitant (ce sont les marques qui ont besoin de notoriété publique), ajoutée à la culture de discrétion propre au monde horloger. Mais tout cela est cependant en train d’évoluer.
Une découverte pour les visiteurs
Une entreprise qui fournit des services de qualité. C’est ainsi que Jean-Paul Dall’Acqua, directeur général, définit La Pierrette, manufacture de pierres d’horlogerie dont il a repris les rênes en 2013. La Pierrette fournit l’ensemble des manufactures et marques horlogères. «Nous sommes souvent sollicités pour faire des visites de notre manufacture de pierres par nos clients. Ils découvrent à cette occasion les nombreux métiers qui permettent la fabrication de ces petites pierres en rubis. Les guides des manufactures, les clients de ces manufactures, les dessinateurs horlogers ne sont que quelques-unes des nombreuses personnes à qui nous faisons visiter nos ateliers», explique Jean-François Mottaz responsable commercial. Cela est d’autant plus facile que depuis 2009, l’ensemble des métiers, précédemment répartis sur quatre sites, sont concentrés sur le site du Brassus. Non seulement ces petites pierres rouges circulaires doivent respecter des précisions du micron mais elles ont également des critères esthétiques exceptionnels. «Les pierres sont souvent très visibles dans un mouvement et donc elles doivent être le reflet des exigences de la marque en termes de qualité», ajoute Jean-François Mottaz.
À quoi sert la pierre d’horlogerie
Il vaut la peine de dissiper ici tout de suite un potentiel malentendu: la pierre d’horlogerie n’est pas un produit esthétique mais bien stratégique au bon fonctionnement des montres haut de gamme, concrètement, à supporter et à positionner les pivots des rouages ainsi qu’à contenir la réserve d’huile pour la lubrification des mouvements. Pour réduire sensiblement les frictions et ainsi prolonger la durée de vie des pièces et la précision du mouvement, le coussinet circulaire est généralement en corindon ou saphir de synthèse, le cristal le plus dur après le diamant. Il est amagnétique et insensible aux changements de température. Sa couleur rouge est obtenue par l’adjonction d’oxyde de chrome. Les opérations d’usinage sur ce matériau qui a remplacé le rubis naturel il y a un siècle se font donc avec de la poudre diamantée. A ces pierres circulaires percées s’ajoutent, par mouvement de montre, deux levées qui entraînent le rouage d’échappement et une ellipse, elle aussi en corindon.
Production verticalisée
La production de cette matière première est la seule opération que La Pierrette ne réalise pas car autrement, la manufacture maîtrise tous les métiers en interne: de la préparation de la rondelle brute, à son perçage, à son façonnage (par meulage, brossage, creusage) dans les diamètres et la géométrie souhaités par le client, du polissage au contrôle et jusqu’au conditionnement du produit. On parle d’une verticalisation de la production.
A noter par exemple l’opération d’enfilage consistant, comme son nom l’indique, à enfiler un grand nombre de ces rondelles dans un fil qui a la dimension d’un cheveu et qui par conséquent est très fragile. C’est une opératrice qui réalise cette tâche à la main, laquelle requiert doigté et patience, en un mot: savoir-faire comme d’ailleurs toutes les soixante opérations parfois nécessaires à la fabrication des pierres.
Indispensables opérateurs
Savoir-faire, le mot n’est pas vain en ce qui concerne le travail des pierristes. Les machines automatisées programmables restent rares. Les machines de technologies anciennes côtoient des équipements des plus modernes tels que le laser et contribuent ainsi à l’usinage des pierres. Le travail des pierres compte encore une dominante de machines traditionnelles voire semi-automatiques qui dépendent des opérateurs. «C’est resté un travail très manuel qui demande beaucoup de dextérité et de minutie. Nous pérennisons nos savoir-faire en les protocolant mais il faut bien savoir que le personnel reste la pièce maîtresse; il y a une sensibilité et une expérience qui ne se transcrivent pas sur du papier. Du reste, il n’existe aucune formation pour la fabrication de pierres d’horlogerie. Notre personnel en production est formé en interne, de un mois à dix-huit mois environ, selon les métiers», indique Cathrine Bravo, directrice RH.
La Pierrette compte également un département de techniciens et d’ingénieurs qui développent les machines spécifiques nécessaires à la fabrication des pierres.
Bibliothèque de pièces
Une bibliothèque de pierres standard est à disposition de manière à pouvoir fournir plus facilement certains clients, notamment les indépendants. La Pierrette, de par son outil de production, usine en effet de grandes séries.
A noter encore que les savoir-faire rassemblés à la Route de France intéressent aussi d’autres secteurs, l’électronique, la micromécanique, le médical, cela reste néanmoins un pourcentage marginal de son activité. Elle reste en effet un fournisseur de services avant tout pour l’horlogerie.
Et il n’en resta plus que trois
Il y a un siècle, les pierristes étaient beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui. Le secteur employait quelque trente mille personnes, dont nombre de petits ateliers spécialisés dans l’une ou l’autre étape de la préparation des pierres. Seules quelques manufactures de pierres d’horlogerie subsistent, toutes dans l’Arc jurassien et qui concentrent en leur sein quelques-unes des étapes.
Cette concentration s’explique notamment par l’automatisation, l’évolution des processus et notamment les exigences qualitatives. Même si la typologie de la pierre n’évolue plus beaucoup, avec une douzaine de manières différentes de creuser et de bomber les pièces, les pierristes ont dû repousser toujours plus loin les limites de la qualité de leur travail dans un marché où les exigences ont sensiblement évolué depuis une quinzaine d’années. Les précisions actuelles sont extrêmes avec des tolérances de l’ordre du micron et il faut les assurer sur l’ensemble des livraisons.
«Dans des montres de très haute gamme, le moindre défaut se voit assez rapidement. L’égrisure, un petit bout de cristal qui se détache de la matière, est notre principal ennemi. Nous sommes reconnus pour l’excellence de nos produits, à tel point que nos clients ne contrôlent plus nos pièces, ils les reçoivent, les stockent et les utilisent», précise Jean-Paul Dall’Acqua.

Quelques chiffres
170 : le nombre d’employés de la Pierrette, contre 80 il y a dix ans.
50 mio : le nombre de pièces produites par an
16 : le nombre de types de pierre d’horlogerie
de 17 à 25 : le nombre de pierres d’horlogerie en rubis par montre (hors grandes complications)
de 7 centièmes à plus de 2 millimètres : le diamètre du perçage.