J’aimerais donner mon sentiment à propos de nos relations avec les loups en réponse, ou en complément, à tous les articles parus jusqu’à ce jour dans notre bien-aimé journal de La Vallée.
Au 19e siècle, nos ancêtres ont exterminé tous les loups de notre région, non pas par sadisme mais par nécessité. Les habitants d’alors devaient subsister avec les maigres ressources d’un pays rude, sans grande possibilité de cultures et avec peu d’apports de l’extérieur; paysans-horlogers pour nombre d’entre eux, ils élevaient des bovins qui pouvaient utiliser les herbages que les humains ne savaient pas digérer. Ils ne pouvaient pas se permettre de partager leurs animaux domestiques avec des prédateurs.
Nous vivons aujourd’hui dans l’abondance et le gaspillage, ce qui laisse certains consommateurs penser que nous pouvons partager avec les loups. Nous devons importer le 50% de notre alimentation, ce qui signifie que nous sommes deux fois trop nombreux dans ce petit pays. Si un jour les pays qui nous fournissent le 50% manquant décident de garder pour eux leurs excédents, serons-nous toujours d’accord de partager avec des prédateurs?
Les loups ont vite compris que les veaux, ou les moutons, sont des proies plus faciles à attraper que des cerfs ou des chevreuils. Il faut alors défendre les troupeaux nous dit-on: les chiens de défense sont peu efficaces face à une meute car ils se laisseront distraire par un loup pendant que les autres attaqueront ailleurs. L’attitude des chiens envers les promeneurs peut poser problème. Rappelons que les cornes des vaches servaient aussi à leur défense.
J’ai eu la chance et le plaisir d’élaborer, puis de collaborer à un projet d’élevage de bovins en Géorgie. Nous avions quelques centaines de vaches allaitantes sur un grand pâturage isolé. J’ai craint les attaques de loups et d’ours présents dans la région et fait installer des clôtures électriques; les collaborateurs de la ferme ont pris des chiens et m’ont assuré qu’il n’y avait rien à craindre. En fait, plusieurs bergers résidaient en permanence sur l’alpage, tous équipés de fusils dont ils se servaient pour chasser et protéger le troupeau. Nous n’avons rien contre les loups, ou les ours, me disaient-il, mais ils doivent rester chez eux et ne pas s’approcher de nos bêtes, sinon on tire. La crainte ancestrale du loup envers l’homme est ainsi maintenue.
Tirer deux loups des mois après une attaque n’a rien de dissuasif car ils seront remplacés par les plus jeunes et ils n’établiront pas de relation entre l’attaque des bovins et ces tirs sélectifs. Si les loups perdent la crainte de l’humain (on en a vu dans des villages) peut-on exclure qu’ils ne s’attaqueront pas un jour à ce dernier, plus particulièrement à des enfants? Les loups n’ont pas de prédateur naturel; ils régulent leur nombre en chassant les jeunes mâles devenus adultes. Où pourraient-ils bien trouver un nouveau domaine dans un petit pays déjà très peuplé?
Les bovins élevés avec attention et affection finiront à l’abattoir, c’est vrai, mais dans ce cas la mise à mort est effectuée sans souffrance; Pour avoir contrôlé les abattoirs du canton durant ma carrière de vétérinaire officiel je puis en répondre. Les loups tuent leurs proies bien différemment, ils les déchirent à l’état vivant.
Les Bioux le 19 septembre 2021
Dr Patrice Francfort vétérinaire