J’ai emprunté ce titre à l’ouvrage de Jean-François Colosimo paru en 2020. Première remarque: la Turquie se sent à l’étroit dans ses limites géographiques héritées du Traité de Lausanne de 1924. Elle nourrit des rêves d’expansion ou, pour le moins, d’influence afin de jouer un rôle majeur entre l’Europe, la Russie, les pays arabes et les zones turcophones d’Asie centrale. Le conflit en Ukraine lui a permis d’affirmer son rôle dans la région en jouant avec toutes les opportunités qui s’offrent à elle mais en se gardant de s’aligner sur les positions de l’un des deux protagonistes.
Le coup d’Etat manqué
Une tentative de coup d’Etat en 2016, mal préparée, permet au Président Recep Erdogan de reprendre le pays en main et de poursuivre sa dérive autoritaire. Militaires, journalistes, enseignants, fonctionnaires sont arrêtés ou limogés par dizaines de milliers à tel point qu’il fallut remettre en liberté 40’000 détenus de droit commun pour libérer des places. La majeure partie des médias sont contrôlés et il devient un hyper-président avec à sa botte un pouvoir législatif qui sert de simple chambre d’enregistrement de ses décisions.
Politique extérieure
Erdogan rêve de reconstituer une puissance néo-ottomane. Vu d’Europe, il était longtemps apparu comme un dirigeant musulman modéré par opposition aux mouvements djihadistes incarnés par Ben Laden ou par l’Etat islamiste (Daesh). En bref, on le percevait comme un dirigeant fréquentable avec lequel on pensait qu’il était possible de composer. La Turquie s’est projetée ces dernières années hors de ses frontières. Au Nord-Ouest de la Syrie, territoire qu’elle contrôle avec le soutien de mouvements djihadistes. En Libye où elle a envoyé des milices pour soutenir l’opposition au gouvernement de Tripoli. En Méditerranée orientale où sa marine a multiplié les provocations dans ses recherches de réserves gazières. En livrant des armes à l’Azerbaïdjan en lutte avec l’Arménie au sujet du territoire disputé du Haut-Karabakh. En faisant un pied de nez aux USA en achetant des missiles sol-air à la Russie alors que la Turquie est membre de l’Otan. En menaçant encore une fois début septembre de s’en prendre à la Grèce à propos des îles de la mer Egée. Si la Turquie est remuante, elle est en mauvaise posture sur le plan économique: l’inflation (70%/an) qui ronge le pays est antérieure à la pandémie Covid. C’est sur le plan économique que se joueront les élections de 2023. L’opposition avait déjà remporté les villes d’Istanbul, d’Ankara mais le pouvoir peut s’appuyer sur les milieux conservateurs, islamistes et d’extrême-droite.
Les Stambouliotes
Istanbul a la particularité de se trouver à cheval sur les continents européen et asiatique séparés par le détroit du Bosphore. Construite sur des collines, les points de vue s’avèrent magnifiques au coucher du soleil. Le Stambouliote voit la mer et des centaines de milliers d’entre eux traversent chaque jour le détroit pour se rendre au travail. Il y a des ponts gigantesques pour laisser passer les navires marchands mais de nombreux bateaux font la navette. On saute dans un vapür comme si l’on prenait le tram. Le Stambouliote est aimable et n’hésitera pas à vous indiquer le chemin. On est loin de la frénésie du métro parisien et les gens disent pardon (prononcé à la française) pour sortir d’un tram bondé. Et, touche plus que sympathique, les jeunes laissent aux personnes âgées leurs places dans les transports en commun.
Une rencontre
Elle a eu lieu un soir devant mon hôtel. J’approche un jeune trentenaire. On parle photo car j’ai mon appareil avec moi; licencié ès lettres, il est également photographe et a collaboré avec l’Université de Zürich pour diverses expositions. Ses prédilections: les portraits et les scènes de rue. Et l’on dérive sur la littérature. Il connaît tout d’Albert Camus, absolument tout. Je lui parle d’un voyage en Algérie où j’avais eu la chance de voir les lieux où le prix Nobel de littérature avait vécu à Alger et à Oran. Il nourrit le rêve de se rendre en Algérie pour un reportage mais l’hôtel que possède son père le retient. Il est très inquiet quant à la politique menée par Erdogan: seuls ses partisans obtiennent des postes et la corruption est endémique.
Le long du Bosphore
C’est l’une des visites à ne pas manquer. Il suffit d’embarquer et de se laisser surprendre par les nombreux palais bordant le détroit. Car des palais, il y en a, témoignant du caractère cosmopolite de la ville au XIXe où Grecs, juifs, Russes, Européens et riches citoyens ottomans se côtoyaient.
Jean-Yves Grognuz, le 25 septembre 2022