Voila maintenant un mois que Marc et son équipier Jean-Pierre ont quitté Tahiti à bord de leur voilier Chamade. Après deux escales dans les atolls de Tikehau et Hao pour y attendre des vents favorables, ils sont arrivés aux îles Gambier. Une escale aussi magnifique que nécessaire sur leur longue route vers le Chili.
Elles sont sorties de l’horizon à l’aube du 10 novembre, sous un ciel gris et pluvieux, au terme d’une traversée de 4 jours, bien plus confortable que ce qu’on aurait pu craindre.
Nous sommes désormais au bout du bout de la Polynésie française, à
1800 km à l’est de Tahiti.
Net changement d’ambiance, avec ces îles montagneuses, on est loin des atolls plats des Tuamotu.
Les îles Gambier sont en fait un cocktail polynésien parfait.
Prenez ⅓ de Bora Bora et son mythique lagon, ⅓ d’atoll des Tuamotu, ⅓ de montagne volcanique des Marquises. Vous mélangez bien le tout, ajoutez un zeste de Tahiti et servez bien frais:
Voilà le cocktail géomorphologique des îles Gambier.
Pour nous, pénétrer dans le grand lagon des Gambier, c’est avant tout un soulagement. Celui d’avoir pu bénéficier de deux fenêtres météo favorables, nous ayant permis d’éviter une longue et difficile navigation dans des vents contraires. Soulagement aussi d’y être juste à temps, juste avant l’arrivée du Nukuhau, l’un des deux petits cargos qui ravitaillent l’archipel. Il nous apporte un fût de gasoil de
200 litres ainsi qu’une bouteille de gaz.
Et nous ne sommes pas les seuls à l’attendre avec impatience. Alors qu’en temps normal le Taporo VIII et le Nukuhau se relaient au quai toutes les 3 semaines environ, suite à la mise en carénage du Taporo, cela fait maintenant près de 6 semaines que le ravitaillement n’arrive plus. Les magasins sont vides, seules quelques conserves traînent encore sur les rayons.
Autant dire que la plus grande agitation règne sur le quai lorsqu’à l’aube du
12 novembre, la sirène du Nukuhau retentit dans la baie.
En quelques heures des tonnes de marchandises sont débarquées. Les containers frigorifiques s’alignent sur le quai. Des tonnes de carburant aussi. Des dizaines et des dizaines de fûts d’essence et de diesel. Comme il n’y a pas de station-service sur l’île, chacun attend le ou les siens.
C’est une véritable ruche bourdonnante qui disparaîtra comme par enchantement à la nuit tombée avec le départ du cargo pour Papeete.
Le lendemain les transferts sont terminés, on va pouvoir enfin découvrir l’archipel, pour autant que le soleil revienne. Car pour le moment il pleut des seaux!
Première découverte étonnante: L’eau. Dans ces îles bien arrosées, l’eau n’est pas vraiment buvable, faute de bons réservoirs pour capter l’eau de pluie. Celle de la nappe phréatique est souvent saumâtre. Seule une petite source offre de l’eau potable mais son débit est insuffisant pour contenter tout le monde. Voilà qui explique les quantités de bonbonnes d’eau minérales déchargées du cargo. Dire que faute d’empoigner sérieusement le problème, on préfère transporter des tonnes d’eau depuis Tahiti!
Autre découverte, le rôle de l’église catholique dans cet archipel. C’est en 1834 que les pères français Laval et Caret débarquent à Mangareva, 37 ans après sa découverte par les Anglais. Très vite, ils évangélisent à tour de bras. Ils créent une véritable théocratie dans l’archipel, imposent un code «mangarévien» basé sur une morale très stricte et surtout, ils sont pris d’une vraie frénésie de construction: pas moins de 116 édifices: chapelles et églises dans chaque île, école catholique et l’immense cathédrale Saint-Michel. Et pour bien marquer la supériorité de l’église catholique et effacer toutes traces des anciens cultes, ils bâtissent leurs églises sur les emplacements des maraé, les anciens lieux sacrés polynésiens. Si aujourd’hui encore le poids de l’église catholique est important, il ne plaît plus à tout le monde. Ainsi Jean, l’un des 3 habitants permanents de la petite île de Taravai. Nous le rencontrons dans son jardin, juste devant l’église Saint Gabriel. «Vous vous rendez compte, nous dit-il, nous allons bientôt recevoir la visite d’un archéologue américain qui vient rechercher les traces de nos anciens maraé. Les pères ont tout effacé, en menaçant, en culpabilisant. Donne
5 enfants à l’église et tu seras sauvé… Pourquoi ils ont fait ça? On aurait bien pu mélanger le christianisme et nos croyances, non?» Et comme nous nous étonnons de la taille de l’imposante église construite sur cette minuscule île, Jean de continuer: «Pas étonnant… taille une pierre pour l’église et tu iras au paradis… Les gens y ont cru!»
Jean, qui comme beaucoup d’autres habitants des Gambier, a travaillé sur l’atoll de Mururoa, distant de 450 km à peine. Ils étaient engagés par l’armée française pour construire le CEP, le centre d’expérimentation du Pacifique, base des essais nucléaires français jusqu’en 1996. «Durant les explosions souterraines, tout l’atoll tremblait… mais on restait sur place». Il ne sait pas s’il a été contaminé, «la maladie vient souvent très longtemps après…». Mais désormais, dans la mairie des Gambier et celles des Tuamotu, une liste des maladies (cancers surtout) donnant droit à des indemnités est affichée. Le résultat récent d’une longue et âpre bataille avec le gouvernement français.
On aimerait encore vous parler de tant de gens rencontrés ici, dans cet archipel isolé qui reste éloigné du tourisme de masse. De Valérie, qui peint avec du sable de magnifiques fresques, de Linda qui grave les coquilles nacrées des huîtres perlières, de Nico et son jardin potager qui fournit Chamade en magnifique salade fraîches ou de Pupuce, née aux Gambier mais qui a travaillé plusieurs années à Lausanne (!) avant de revenir ici pour aider sa mère malade, qui tient l’une des deux pensions de Rikitea. Autant de gens merveilleux dans leur accueil, qui vivent ici dans cet archipel isolé (un ou deux vols par semaine vers Tahiti, subventionné et toujours complets des semaines à l’avance). Ils y vivent très simplement mais pas pauvrement. La culture de la perle noire reste florissante, les maisons subventionnées sont souvent très belles et les pick-up 4×4 nombreux sur les 20 km de route que compte Mangareva.
Les Gambier, un havre de paix que nous quitterons à regret. Mais décembre est là, et il est temps d’entamer notre longue route vers le Chili. Une navigation de 4 à 6 semaines que nous vous raconterons dans un prochain article et que vous pourrez suivre dès début décembre via notre blog
(www.chamade.ch) que nous alimenterons régulièrement via notre téléphone satellite.
Plus de photos et de récits sur le blog : www.chamade.ch
Par Marc Decrey