À La Vallée, l’accueil et la solidarité ne sont pas de vains mots. La rédaction a souhaité marquer le premier anniversaire de la guerre en donnant la parole à quelques acteurs institutionnels et privés qui se sont mobilisés pour les réfugiés ukrainiens. Nous évoquons
également l’avenir de ces familles, partagées entre envie de retour et espoir d’un meilleur avenir.

accueilli autant d’élèves allophones en même temps.
L’Ukraine a beau être séparée de la Suisse par deux mille deux cents kilomètres, la guerre déclenchée là-bas il y a un an nous a rapidement et directement impactés : par les réfugiés qui n’ont pas manqué d’arriver sous l’égide de l’EVAM, mais aussi par la mobilisation immédiate, en particulier des rares ressortissants ukrainiens – mais pas n’importe lesquels – établis en la Haute Combe. C’est là un phénomène nouveau, comparé aux dernières vagues d’immigration (en provenance d’Afghanistan, de Syrie ou de Mongolie et avant cela des Balkans, lesquels ont dû faire leur place seuls).
Depuis la Deuxième Guerre mondiale
L’afflux de personnes ayant fui l’Ukraine, principalement entre mars et juin de l’an dernier, est le plus important que la Suisse et l’Europe aient connu depuis la Deuxième Guerre mondiale. Autre spécificité de cet afflux, il s’agit majoritairement de femmes et d’enfants, ce qui entraîne des enjeux de scolarisation et de garderie. Actuellement, une trentaine de familles ayant fui l’Ukraine logent à La Vallée, soit près de cent personnes.
Parmi eux, les écoles ont accueilli trente-trois élèves.
L’EVAM dépassé
Il y a une année, les initiatives privées de Combiers ont permis de collecter du matériel, notamment médical grâce à la fondation du Dr Naiken (né à Donetsk, peut-on rappeler) ou au sein des églises, mais aussi et surtout de faire face à la situation d’urgence en assumant les deux tiers des hébergements, soit vingt familles. L’EVAM a ainsi eu le temps de se réorganiser. Outre son rôle d’accueil et de placement, l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants loue en effet des appartements à La Vallée comme ailleurs et en a mis a disposition de familles ukrainiennes. Mais cela n’aurait pas suffi face à la masse des arrivées. « La situation a nécessité de notre part une adaptation importante et de nombreux recrutements, tout en maintenant des prestations similaires pour les migrants d’autres origines », rapporte Marie-France Richard, responsable du Pôle Interface de l’EVAM dans le canton.
De fait, les ressortissants ukrainiens constituent également près de la moitié des bénéficiaires actuels de l’EVAM.

Le soutien de la population: essentiel
L’élan local s’est donc manifesté entre autres par l’aide à la recherche de logements et l’organisation de soirées d’informations en collaboration entre les communes, les associations, les familles d’accueil, les églises, les bénévoles et l’EVAM. « De nombreux particuliers se sont proposés pour héberger des Ukrainiens, certains dans le cadre du projet d’hébergement en famille d’accueil de l’EVAM, d’autres en dehors. Le soutien de la population a été capital et demeure à ce jour essentiel », résume Marie-France Richard.
Les écoles et le « génie local »
L’établissement primaire et secondaire de la Vallée de Joux confirme qu’autant d’élèves allophones d’un seul coup, c’était une première. Ceux-ci se répartissent de quatre à quinze ans, soit l’ensemble du cursus de la scolarité obligatoire, ainsi que deux élèves un peu plus âgés accueillis quand même afin qu’ils puissent bénéficier du cours intensif de français. « C’est notre doyenne du cycle 1, Céline Paillard, qui organise l’accueil des élèves en provenance d’Ukraine. Nous sommes soutenus par le Dr Naiken et son épouse lors de rencontres avec les parents et pour tous les aspects administratifs. Sans leur précieuse aide, les choses seraient bien plus compliquées », explique Stephan Naddeo, directeur des écoles.
L’Association Scolaire Intercommunale de la Vallée de Joux (ASIVJ) gère tout l’aspect financier et organisationnel du parascolaire, en tant que partenaire de l’école. Un exemple, la mise à disposition de skis de fond pour les camps d’hiver, fort appréciés des élèves ukrainiens qui, au pays, n’étaient pas assurés d’avoir l’équivalent. « Actuellement, nous nous en sortons bien avec le “génie local” », résume Stephan Naddeo.
L’intégration passe par les classes ordinaires
La chance des écoles de La Vallée est ici d’avoir pu bénéficier d’une Ukrainienne trentenaire, en la personne d’Anastasia Schluchter, tombée amoureuse d’un Combier et établie aux Bioux depuis cinq ans. Sollicitée initialement comme interprète dans le cadre des démarches administratives, elle a été très rapidement embauchée comme enseignante. Son engagement a permis d’ouvrir deux groupes d’accueil de cours de français intensif, trois matins par semaine pour les petits et deux après-midi pour les plus grands. À cela s’ajoutent des cours individuels pour les élèves avec plus de difficultés, mais l’objectif est bien d’intégrer le plus vite possible tous les Ukrainiens dans des classes ordinaires. «Dans des classes d’accueil dédiées, ils risqueraient de ne parler qu’ukrainien entre eux. Une telle expérience a été déjà menée avec d’autres nationalités, ce n’était pas concluant du point de vue de l’intégration», explique Stephan Naddeo. À noter encore, pour les plus grands élèves, que les obstacles de la langue ont pu être abaissés au moyen de tablettes et des logiciels de traduction automatique.
« Je fais le pont »
Anastasia Schluchter venait de terminer son master en Sciences Po’ et voilà que les récents événements ont orienté différemment sa carrière. Comment le vit-elle ? « D’un côté, je suis triste des raisons mais de l’autre, heureuse de pouvoir aider mes compatriotes. » Ayant travaillé par le passé bénévolement dans le social pour le centre de Malley-Prairie, elle y voit même un peu le Destin à l’œuvre. « Je fais un pont entre eux et les habitants de La Vallée. J’explique aux familles qui arrivent comment s’organise la vie en Suisse. La différence culturelle n’est pas flagrante, mais il y a malgré tout des façons différentes de percevoir les choses et de fonctionner. »
La résidente des Bioux tient à exprimer au nom de tous la reconnaissance. « Les habitants ont ouvert leur cœur. J’ai aussi moi-même, à titre privé, demandé de l’aide notamment pour aller rapatrier deux petites cousines et l’on ne m’a jamais dit “non”. » L’enseignante a en effet effectué un voyage sur place, deux semaines après le début de la guerre, avec un minivan chargé de nourriture, d’habits, de sacs de couchage et de médicaments, fournis par les Combiers.

Perspectives d’avenir
Alors que de nombreux Ukrainiens ainsi que des migrants d’autres nationalités continuent d’arriver chaque semaine dans le canton, quel avenir se dessine pour ces réfugiés ukrainiens qui «commémorent» ces jours et jusqu’à l’été l’anniversaire de leur fuite? Leur avenir reste profondément lié et dépendant de l’évolution du conflit armé et de la situation politique en Ukraine. Mais tous nos interlocuteurs sont d’accord pour voir deux attitudes opposées suivant les individus et les familles: une forte demande pour suivre des cours de français et trouver un emploi. Stephan Naddeo a lui-même constaté l’exigence de certains parents ukrainiens et l’ambition qu’ils ont pour leurs enfants. En parallèle, chaque mois des Ukrainiens quittent la Suisse pour retourner dans leur pays d’origine. «Certains n’attendent que de rentrer, tandis que d’autres parents voient l’avenir de leurs enfants en Suisse et voudraient qu’ils se donnent la chance d’y étudier. Je peux comprendre les deux postures.» Il y a en effet un important exode des Ukrainiens vers l’étranger datant d’avant la guerre, mais que celle-ci a décuplé. «C’est mon cas aussi, concède Anastasia Schluchter. J’ai été attirée en Suisse par la qualité de vie, les relations respectueuses entre les gens et le bon fonctionnement des institutions».
Nous reviendrons sur ce sujet dans une prochaine édition en donnant la parole à des Ukrainiens réfugiés à La Vallée.
Si vous avez des questions concernant le projet d’hébergement en famille d’accueil ou encore êtes intéressés à faire du bénévolat, vous pouvez vous adresser aux adresses suivantes : heberger-un-migrant@evam.ch et benevolat@evam.ch ou encore au numéro 021 338 99 11.
Quelques chiffres à retenir
– La Vallée accueille une trentaine de familles ayant fui l’Ukraine, soit près de cent personnes, surtout des femmes et des enfants
– L’essentiel du contingent est arrivé au printemps dernier.
– Les Ukrainiens représentent près de la moitié des bénéficiaires de l’EVAM.
– Deux tiers des Ukrainiens sont logés «chez l’habitant» combier
– 33 élèves sont enclassés, représentant 4% de l’effectif global de quelque 800 élèves. Une enseignante a été engagée à 80% exprès
Non pas « redoublement », mais maintien automatique
Sur le plan pédagogique, les élèves ukrainiens ont un statut d’auditeurs pendant une année et ne sont pas soumis à évaluation. Ils sont ensuite maintenus dans l’année scolaire dans laquelle ils ont été enclassés et obtiennent un statut d’élève à besoin particulier avec des aménagements et adaptations des objectifs scolaires. Interrogé sur leurs progrès, Stephan Naddeo répond : « L’intégration se passe différemment en fonction de l’enfant. Certains ont le sourire, apprennent très vite et se sont fait plein de nouveaux copains. D’autres en revanche, bloquent. Certains montrent clairement des signes traumatiques, dus au déracinement, à l’obstacle de la langue, à ce qu’ils ont vécu au pays. Il est pour l’heure difficile d’apporter une aide psychologique, mais nous pouvons au moins leur apporter une stabilité et un havre de paix que peuvent constituer une école et une région comme la nôtre. »
Comment l’EVAM « fait l’interface »
«Avant tout placement nous rencontrons au préalable les familles d’accueil. Lors de cette rencontre nous échangeons sur leur projet d’accueil, nous répondons à leurs questions et les sensibilisons aux défis potentiels liés à toute cohabitation. En parallèle, nous avons des échanges similaires avec les personnes intéressées à vivre en famille d’accueil. À la suite de ces échanges, nous organisons une rencontre entre les familles d’accueil et les personnes migrantes qui selon notre perception pourraient cohabiter harmonieusement. Si la rencontre confirme la volonté de vivre ensemble, nous organisons le déménagement et ensuite proposons un accompagnement pendant la période de vie en commun. Nous sommes attentifs à sensibiliser les deux parties aux points communs qui peuvent les rapprocher mais aussi aux points de divergences qui pourraient créer des tensions. Nous les encourageons aussi à établir des règles de cohabitation et en règle générale cela facilite un bon déroulement de la vie sous le même toit.»