Fallait-il renoncer à ce voyage en suivant les recommandations du Département fédéral des affaires étrangères ? Ou fallait-il prendre en considération le fait que la Suisse n’a pas de contentieux avec ce pays et qu’elle joue le rôle de Puissance mandataire dans les relations irano-américaines ? Certes des étrangers furent arrêtés lors des troubles de septembre dernier et sont encore détenus pour des raisons obscures mais j’avais envie d’y retourner pour la troisième fois et d’effleurer cette culture multimillénaire. Je me retrouverai seul au bureau des visas de l’aéroport et ne verrai aucun étranger tout au long de ce voyage. Chaleureuses retrouvailles avec Nosrat, mon guide : il a pris soin de mettre dans sa voiture un bouquet de roses, ces fleurs magnifiées par la littérature persane.
La route de la soie
Oubliées les caravanes de dromadaires venant de Chine chargées de soie, de porcelaines et de parfums, croisant celles qui venaient d’Occident. Elles faisaient étape tous les 35 kilomètres dans des caravansérails disposant d’eau et de fourrage. C’étaient d’immenses bâtiments où l’on ne pénétrait que par une porte. Ces bâtiments pourraient être transformés en hôtels mais les investisseurs ne se bousculent pas. Il y avait plusieurs routes de la soie, l’une au nord de la Caspienne, d’autres plus au Sud menant toutes vers Istanbul.
Comment nous perçoivent-ils ?
Dire que l’on vient de Suisse illuminera le visage de votre interlocuteur, notre pays étant considéré comme prospère et stable. En matière de politique internationale, les avis sont plus tranchés en raison des sanctions économiques décrétées par les USA auxquels se sont joints les pays européens sous peine de rétorsions américaines. Les Iraniens s’estiment mis au ban des nations. Sanctionne-t-on l’Arabie saoudite voire la Chine pour non-respect des droits de l’homme me dirent les Iraniens ? Vous avez besoin du pétrole des émirs et la Chine vous effraie. Deux poids, deux mesures. Hypocrisie ajoutèrent-ils alors qu’ils sont souvent virulents à l’égard de leur propre gouvernement. Dès son arrivée au pouvoir, Donald Trump décida de se retirer des négociations de Vienne. Elles avaient comme but la levée des sanctions contre l’abandon des recherches en matière de nucléaire militaire. Des négociations longues, ardues mais il eut été préférable de poursuivre par la voie diplomatique. Les Iraniens n’ont plus confiance avec la réélection, possible, de l’homme aux cheveux jaunes. Finalement, l’Iran disposera tôt ou tard de la bombe atomique et livre des drones à la Russie. Un timide espoir cependant : des relations diplomatiques ont été renouées avec l’Arabie saoudite ce qui pourrait laisser entrevoir la fin du conflit au Yémen où ces états ont soutenu les deux parties qui se sont affrontées dans une guerre oubliée.
Zafaraniyeh
Ce village ne doit pas voir souvent des étrangers et je ne verrai que peu d’enfants en raison de l’exode rural. Un couple âgé m’invite pour le thé malgré le Ramadan, mois du jeûne. Ils cultivent quelques arpents d’orge, élèvent poules et chèvres. Ils ont un énorme chien de protection au collier garni de pointes car les loups rôdent en saison hivernale. Devant une mosquée, c’est un jeune couple qui m’invite : elle est ingénieure agronome et lui a repris l’exploitation de ses parents pour la production de raisins secs. Ali a été emprisonné deux mois à la suite des manifestations de septembre dernier où une partie de la jeunesse était descendue dans la rue aux cris de Femme, vie et liberté à la suite du décès de Mahsa Alimi, brutalisée en prison. La répression fut brutale : plus de 500 morts et des milliers d’arrestations. Ali ne me parlera pas de ses conditions de détention mais j’ai senti un voile sur ses yeux lorsqu’il les a vaguement évoquées.
Plus loin vers les frontières afghanes et turkmènes
Un épicier ne veut pas me laisser partir sans que je partage le repas avec sa famille. Comme de nombreux Iraniens, il cumule deux emplois, directeur d’école le matin et boutiquier l’après-midi. Il aurait aimé m’emmener dans son Baloutchistan natal, province adossée à l’Afghanistan, région délaissée par le gouvernement et terre de tous les trafics. Faute de temps, j’ai dû renoncer mais j’avais totalement confiance en lui en raison de son appartenance à une tribu puissante.
Et encore plus loin
Je n’ai pas compté les hectolitres de thé offerts, les salutations les mains sur le cœur. Faut-il voir dans cette hospitalité le fruit d’une longue culture ou le ta’arof, le code de bonne conduite ? Ou alors le fait que l’Iran n’a pas été colonisé et que ses habitants, comme les Ethiopiens du reste, vous regardent d’égal à égal ? Je n’ai pas de réponse mais c’est peut-être un peu de tout cela.
Jean-Yves Grognuz, avril 2023