Coincé entre la Cordillère et le Pacifique, étiré du nord au sud sur plus de 4000 km, le Chili est un pays très contrasté. Entre l’aridité des déserts du nord et la pluviométrie record des côtes déchiquetées du sud, battues par les vents des « cinquantièmes hurlants ». Mais partout des étendues encore sauvages, une nature souvent à l’état brut, de quoi combler l’équipage de « Chamade » à nouveau réuni après une longue traversée du Pacifique sud (voir Favj du 19 janvier).

Nous voilà déjà presque fin janvier. Les jours ont filé depuis notre arrivée au Chili au terme de 34 jours d’une navigation plutôt rock and roll. Il y a eu la joie des retrouvailles mais aussi les travaux d’entretien et de remise en état de Chamade. C’est qu’une si longue traversée laisse forcément des traces. Mais si l’on veut encore profiter de l’été austral, il faut vite repartir… à la découverte du Chili.
À bord de Chamade, nous larguons les amarres pour sillonner le golfe d’Ancud, bordé de fjords profonds, souvent inhabités. Une sorte d’apéro de ce qui nous attendra en novembre prochain lorsque nous descendrons vers le Cap Horn, lorsque nous naviguerons dans le dédale des canaux de Patagonie. Sauf que, et c’est tant mieux, le baromètre est bloqué sur grand beau. Dans cette région pourtant considérée comme l’une des plus arrosées de la planète, le soleil brille chaque jour de tous ses feux. Un soleil dur, blanc, qui brûle la peau, conséquence du trou d’ozone creusé des décennies durant et qui ne commence que lentement à se combler. Pas question d’oublier notre écran total!
Notre objectif: le fond des fjords où se cachent des sources d’eau chaude. Mais avant de pouvoir y tremper nos fesses, il faudra composer avec le développement de l’aquaculture qui a littéralement explosé ces vingt dernières années. Pas une baie, pas une anse, pas un fjord qui ne soit envahi par les parcs à moules ou les «salmoneras», les fermes à saumon. Pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur pour l’économie du Chili qui exporte massivement le saumon d’élevage, mais le pire pour les pêcheurs de la région qui voient tout l’écosystème ravagé par la pollution induite par les salmoneras. Une industrie peu regardante, qui utilise massivement des antibiotiques: Cinquante fois plus qu’en Ecosse et même deux mille fois plus qu’en Norvège! Partout des bouées, des centaines de bouées ou de cages qui flottent à la surface. Mais heureusement, tout au fond des fjords, après un joli slalom entre les flotteurs, on finit toujours par trouver une zone libre où jeter l’ancre.
Comme dans l’anse de Porcelana où nous attend la récompense suprême. Trois bassins d’eau chaude à 38 à 40 degrés qui jouxtent le torrent qui descend de la montagne. Un merveilleux chaud-froid, une sorte de sauna à l’état naturel accessible qu’en bateau, un cadeau des volcans, juste pour nous!

Les volcans: parlons-en. Ils sont omniprésents au Chili. Qu’ils soient cônes parfaits ou pointes acérées, leurs sommets enneigés contrastent avec l’ocre des déserts du nord ou le vert sombre des forêts du sud. Mais ne vous fiez pas à leur apparente placidité. Cette fameuse cordillère n’est que l’épine dorsale de la ceinture de feu du Pacifique sud, là où se rencontrent deux plaques tectoniques. Résultat: ça crache, soudainement, sans crier gare, comme en 2015 lorsque le Calbuco s’est réveillé après 42 années de sommeil. Et ça tremble, le plus souvent heureusement de manière légère, déjà dix secousses enregistrées les trois premiers mois de 2023. Mais il arrive aussi que les séismes soient ravageurs, jusqu’à battre d’effrayants records: 9,6 sur l’échelle de Richter en 1960 à Valdivia, le tremblement de terre le plus violent jamais mesuré sur notre planète. Ou encore en 2010 ce terrible séisme (8,8), suivi d’un tsunami qui a rasé la ville de Constitucion. Et à chaque coup de colère sous-marin, des dizaines de milliers de victimes. Pour nous, en revanche, les volcans ne seront qu’un terrain de jeu magnifique pour des balades que ce soit sur l’Osorno ou le Puntiagudo.
Après cet apéro, venait le moment de déguster le plat principal à 2000 kilomètres plus au nord. De concrétiser un rêve de Sylvie: voir le désert d’Atacama, si magnifiquement filmé et raconté par le cinéaste chilien Patricio Guzman dans «Nostalgie de la lumière».
Pour être francs nous y sommes arrivés un peu sur les pattes de derrière. Les quelques récits de voyageurs récents entendus au Chili, nous avaient un peu refroidis: gare au tourisme de masse qui a déferlé sur le désert, sillonné par les minibus des agences de voyages qui trimbalent les visiteurs, d’un site à l’autre. Désormais, c’est réservation obligatoire pour la visite des sites, paiements par internet et formulaires à compiler pour le traçage Covid (oui, encore). On était loin du rêve d’un désert… désert.
Cela n’à pas empêché notre émerveillement et notre enchantement sans cesse renouvelés. Grâce à deux précautions: bénéficier d’une voiture de location et se procurer le programme des agences de voyage mentionnant l’heure de départ des excursions qui se font toutes en même temps. En jouant à contretemps nous avons pu nous immerger dans ce monde minéral, au cœur des salars, des lagunes, des vallées ou des quebradas (canyons) le plus souvent dans une totale solitude.
Et là… chuut. A 4830 mètres d’altitude, plus haut que le Mont Blanc, écouter nos cœurs battre la chamade et se perdre dans la contemplation. Se glisser, minuscules, entre des monolithes géants de tuf dressés sur l’immensité d’un haut-plateau. Se remplir les yeux et l’âme de toute la beauté du monde. De ce monde d’immensité où la neige des volcans de la Cordillère rencontre le désert: noir sur blanc sur rose, sur rouge sur vert, sur brun, sur violet, sur bleu, le feu, l’eau, la terre, l’air.
«Et maintenant, Sylvie?»
«Maintenant, où que je sois, il me suffit de fermer les yeux pour que la nostalgie des lumières et des couleurs d’Atacama redessine mon rêve.»
Et après le désert? Eh bien, nous sommes passés au dessert de notre périple chilien. Mais c’est un peu long à raconter. Alors nous vous laissons baigner dans la lumière unique de l’Atacama en vous renvoyant aux photos du blog www.chamade.ch
Notre dessert, nous le partagerons avec vous dans un prochain article pour vous faire goûter un peu d’une vallée de miel… et de vins.

Par Sylvie Cohen et Marc Decrey